mercredi 7 juillet 2010

Ni tickets ni tourniquets: combattre la pauvreté, pas les pauvres!



Depuis le 5 juillet dernier, la Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles (STIB) a mis en fonction son nouveau système de portillons d'accès, destiné dit-on à réduire le nombre de fraudeurs dans le métro. A partir de ce jour, tout le réseau de (pré)métro sera ainsi équipé au rythme d'une à deux stations par semaine, à commencer par les 18 où les portillons d'accès sont déjà installés. "L'investissement total est de 50 millions d'euros, dont 15,2 millions apportés par Bruxelles Mobilité", a précisé la ministre des Transports et des Travaux publics Brigitte Grouwels (CD&V).

Les sommes englouties dans le contrôle, infrastructures et personnels compris, pourraient financer la gratuité de l’accès au réseau… alors qu’aujourd’hui, nous payons pour être contrôlés !

Les abonnés MOBIB, même s'ils sont en possession de leur abonnement en poche, risque d’être sanctionnés d'une amende s’ils n'ont pas validé leur titre de transport… l'usager peut pourtant prouver qu'il dispose bien d'un abonnement en cours de validité.

Manuel Lambert, juriste à la Ligue des Droits de l'Homme, commente : «En prenant un abonnement à la Stib, vous acceptez les conditions du contrat… Mais ce contrat ne peut comporter des clauses abusives, ou encore déroger à la loi sur la vie privée.» (1)

Il est tout a fait légitime que la STIB veuille contrôler les mouvements des passagers afin de mieux gérer les transports mis à leur disposition,  et nous souhaitons aussi  passer d’un réseau de transport en commun à l’autre sans devoir changer de titre de transport, mais le meilleur moyen de développer cette piste reste l’accès libre et gratuit aux différents réseaux.


La liberté de se déplacer est un droit fondamental
Le profil type du «fraudeur» n’existe pas : qu’ils soient étudiants, retraités, salariés, chômeurs,… tout-le-monde risque de se retrouver un jour en situation de «délinquant» du fait de ne pas avoir payé pour bénéficier de son droit.

D’année en année, les prix du ticket et/ou de l’abonnement augmentent. Ceci rend de plus en plus difficile pour les groupes aux revenus les plus modestes de pouvoir se déplacer librement, que ce soit pour se rendre à l’école, au travail ou pour chercher un emploi. Les fraudeurs ne le sont pas pour le plaisir, Bruxelles a le taux de chômage le plus élevé du pays. Un habitant de Bruxelles sur quatre vit sous le seuil de pauvreté!

Portiques, caméras, cartes a puce, patrouilles … Imaginez-vous un tel panel sécuritaire dans un autre service public comme l’école de vos enfants ou l’hôpital?

Le monde politique botte en touche sur le sujet de la gratuité. Tout comme la STIB qui se contente d’évoquer un manque à gagner lié à la fraude, estimée à plusieurs millions d’euros par an.

Conformément à notre programme, nous revendiquons un accès libre et gratuit aux transports en commun à commencer par les personnes handicapées, les personnes les plus précarisées (CPAS, chômeurs, pensionnés, familles monoparentales, etc.), les étudiants et ceux qui n’ont pas de permis de conduire,... pour enfin parvenir à un service gratuit pour tous les Bruxellois.
Ce service est  indispensable.  La liberté de se déplacer est un droit fondamental.
Comment tendre vers plus d’égalité sans favoriser la liberté de circulation ?

La gratuité des transports publics est une mesure pédagogique !
La gratuité des transports publics à l’intérieur de Bruxelles, pour les usagers domiciliés dans la Région de Bruxelles-Capitale sera un signal fort en direction de la population, de nature à modifier les habitudes de déplacement d’un million de personnes et plus globalement, à les amener à réfléchir sur l’utilisation des ressources de la planète.

Cette mesure permettrait :
•    d’encourager l’utilisation de ces moyens de transport par tous, au détriment de la voiture écologiquement beaucoup plus coûteuse ;
•    de cesser de marginaliser les plus faibles en les transformant en délinquants pour rien (les «fraudeurs») ;
•    de diminuer le climat de violence dû à certains contrôles ;
•    de gagner de nouveaux usagers aux transports publics et de favoriser ainsi les échanges entre les citoyens ;
•    de combattre les embouteillages et la pollution, au profit des piétons et des cyclistes, et de manière plus générale, de la qualité de l’air respiré par chacun ;
•    de ne garder que les parkings sous-terrain et de transformer les parkings de surface soit en plantations et zones vertes, soit en zones d’habitat.
 
Les emplois stériles (émission et contrôle des billets) seraient reconvertis en emplois utiles à l’intérêt général : postes d’accueil, de renseignement, d’aide aux usagers, en assurant une présence humaine sécurisante et non agressive. Les seuls postes répressifs maintenus étant ceux dirigés vers les automobilistes encombrant les pistes cyclables, les passages pour piéton, les trottoirs et les couloirs de bus.

La gratuité constitue aussi un acte de prévention !
Un argument décisif en faveur  de la gratuité est qu’elle est une mesure de prévention particulièrement active. Elle évitera que les jeunes des quartiers soient des «délinquants» parce qu’ils ont sauté au-dessus d’un tourniquet, bousculé ou insulté un contrôleur,… simplement pour avoir voulu exercer son droit à la mobilité, quel gâchis !
Une fois que l’on a ainsi été stigmatisé par les forces représentant les autorités, on est facilement aspiré par la spirale de la marginalité et de la violence et on passe à la vitesse supérieure. Alors que supprimer l’occasion du premier délit, voilà de la prévention efficace à 100 % !

En résumé, il s’agit là d’une mesure particulièrement lisible par les citoyens dans ses objectifs sociaux et environnementaux, une vraie pédagogie politique.

La gratuité des transports en commun est-elle une utopie ?
D’après le site bancpublic.be, il existe bel et bien des villes pratiquant une politique de gratuité et les exemples sont nombreux: «Six villes françaises ont mis en place la gratuité totale des transports en commun. Colomiers (près de Toulouse) et Compiègne (Oise), la pratiquent depuis les années 70, les municipalités de Vitré (Ille-et-Vilaine), Châteauroux et Issoudun (Indre), ainsi que Mayenne (Mayenne) se sont lancées dans l'aventure. En Europe, d'autres villes ont tenté une incursion sur le territoire de la gratuité, en Espagne et en Belgique notamment.

La multiplication et le sérieux des arguments et des luttes menées dans de nombreuses villes, départements et régions en Europe montrent que cette revendication est loin d’être fantaisiste ou irréaliste: la gratuité des transports ne peut être mise par ses opposants au rang des douces utopies: elle existe; des luttes ont permis d’obtenir la gratuité de transports collectifs pour tous ou sous conditions de ressources, des avantages catégoriels commencent à être consentis.

Mais l’exemple le plus frappant est celui d’Hasselt, 70000 habitants, qui, en 1997, et à contre courant de la marchandisation générale, a instauré la gratuité totale des transports en commun. La commune d’Hasselt a choisi la gratuité parce que certaines personnes ont osé modifier radicalement l’organisation des transports, refusant de procéder par petites retouches: le conseil communal a osé refuser la construction de parkings prévus en centre ville, osé prononcer le mot «gratuit», osé prendre le temps de convaincre les habitants aux avis divergents (commerçants, usagers, sociétés de transport, précaires), osé réunir les acteurs de la vie communale autour d’une table.

Le centre ville a été redonné aux piétons: parkings à l’extérieur de la ville, proches des stations de bus, coordination des feux rouges pour les bus, mini-tunnels pour piétons et cyclistes afin de ne pas traverser la route, prêts gratuits de vélos, construction d’espaces verts: la liste des mesures visant à arrêter le développement de la ville autour de la voiture est longue. Le parc d'autobus est passé de 8 à 27, le nombre de lignes de 4 à 9, le nombre de Km parcourus a triplé: finis les transports collectifs charitables pour personnes âgées, jeunes sans permis de conduire ou démunis sans véhicules. Le nombre d’usagers mensuels est passé de 30000 en mars 1997 à 267.000 en mars 1999 et 291.000 en mars 2000, dont 16% utilisaient auparavant une voiture. 23% des étudiants utilisent actuellement les transports en commun contre 9,7 avant l’instauration de la gratuité.

Les conducteurs sont devenus plus accueillants et disponibles, en abandonnant leur rôle de collecteurs d’impôts, le coût d’entretien de la voirie a diminué, les rues sont devenues plus sereines, il fait meilleur s’y promener à pied, le nombre d’accidents a baissé, le centre ville est devenu un lieu de vie et non plus de passage des voitures, on ne stationne plus n’importe comment pour aller faire une course, les transports servent à aller travailler ou faire ses courses, mais aussi à avoir des liens sociaux.»
(2)

Un an après la mise en place d’un service de transports en commun totalement gratuit dans toute la communauté d’agglomération du pays d’Aubagne et de l’Etoile, l’heure est au bilan.
Les résultats de l’étude réalisée par les instituts Wei et Carniel semblent donner raison a ceux qui recommandent la gratuité. «On pense souvent que ce qui est gratuit n’a pas de valeur, remarque le sociologue Alain Mergier. Or, pour les habitants que nous avons interviewés, la gratuité produit un effet de valorisation des transports en commun et du territoire de l’agglomération.»

Les jeunes utilisateurs, qui représentent près de 32% des nouveaux usagers, sont ceux qui sont le plus satisfaits de cette mesure, «Ils ont l’impression que cette mesure a été prise pour eux et que c’est un cadeau qui a un impact immédiat en termes financiers et en termes d’autonomie», juge le sociologue.(3)

Ces cas concrets de la gratuité des transports public nous démontrent que la mesure n’est pas absurde et inimaginable.

En cette année 2010, Année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, où la Belgique assure la présidence tournante de l’Union pour 6 mois, c’est aux responsables politiques bruxellois de se positionner par rapport à la gratuité des transports publics.
Si nos élus ne prennent pas leurs responsabilités politiques en ce qui concerne le droit de se déplacer librement, l’usage des transports publics sans titre de transport continuera d’être, pour les plus précaires d’entre nous, le seul moyen de faire respecter leur droit à se déplacer librement.

Nous attendons donc un geste dans ce sens, mais plus largement encore à d'autres champs politiques tels que l'enseignement, le logement, la santé, l'accès à la culture.



Nordine Saïdi
Porte-parole de ÉGALITÉ
07.07.10

(1) http://www.lesoir.be/regions/bruxelles/2010-05-28/payer-son-abonnement-ne-suffit-pas-772894.php
(2 ) http://www.bancpublic.be/PAGES/104mvg.htm
(3) http://www.wiki2d.org/les-bonnes-pratiques/economie-responsable/transports/la-gratuite-des-transports-en-commun-interesse-les-sociologues/

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