dimanche 18 juillet 2010

Tuerie contrôlée à distance : le jeu "Repérer et Tirer"




Il s'appelle "repérer et tirer". Les opérateurs sont assis face à un écran de TV d'où ils peuvent contrôler l'action avec une tablette de jeu style manette.
Le but : tuer des terroristes.
Joué par des jeunes femmes faisant leur service dans l'armée israélienne.


«Repérer et tirer», comme l'appelle l'armée israélienne, peut ressembler à un jeu vidéo, mais les personnages à l'écran sont des personnes réelles, des Palestiniens de Gaza qui peuvent être tués en actionnant la manette.
Les soldates, localisées loin de l'endroit, dans une chambre d'opérations, ont la responsabilité de viser et de tirer à partir de mitrailleuses contrôlées à distance montées sur des tours de garde  tous les cent mètres le long d'une barrière électronique qui entoure Gaza.
Le système est un des derniers dispositifs de «tuer à distance» élaboré par la compagnie d'armements israélienne Rafaël, l'ancienne division de recherche en armements de l'armée israélienne et maintenant une firme gouvernementale séparée.

D'après le vice-président de Rafaël, Giora Katz, le matériel militaire de contrôle à distance comme «repérer et tirer» est le visage du futur. Il prévoit que dans le temps d'une décennie au moins, un tiers des machines utilisées par l'armée israélienne pour contrôler la terre, la mer et les airs sera sans équipage.
L'armée israélienne admet que la demande pour de tels dispositifs a été alimentée par une combinaison de niveaux déclinants de recrutement et une population moins prête à perdre la vie dans les combats.

Oren Berebbi,qui est à a tête de la branche technologique a dit récemment à un journal américain: «Nous essayons d'avoir des véhicules sans équipage partout sur le champ de bataille Nous pouvons effectuer de plus en plus de missions sans mettre de soldats en péril.»

Un progrès technologique rapide a alarmé les Nations Unies. Philip Alston, son rapporteur spécial sur les exécutions extra-judiciaires, a mis en garde le mois dernier contre le danger de voir émerger rapidement une «mentalité de jeu pour tuer». 
D'après des analystes, cependant, il est peu probable qu'Israël tourne le dos à un matériel pour lequel il a été à l'avant-garde du développement, utilisant les territoires palestiniens et spécialement Gaza comme laboratoire d'essais.

Il existe une demande importante de systèmes d'armes de contrôle à distance, de la part de régimes répressifs et des industries de sécurité bourgeonnant dans le monde.
«Ces systèmes sont encore à un stade débutant de développement mais il existe un marché important et grandissant pour eux» a dit Shlomo Brom, un général à la retraite et un analyste de la défense à l'Institut national des études de sécurité à l'Université de Tel Aviv.

Le système «repérer et tirer» - connu officiellement sous le nom Tech de sentinelle - a surtout attiré l'attention en Israël parce qu'il est opéré par des soldates de 19-20 ans, le faisant le seul système d'armes opéré exclusivement par des femmes dans l'armée israélienne.
On préfère des femmes soldats pour opérer les dispositifs de tuer à distance à cause de l'insuffisance de recrues masculines dans les unités de combat d'Israël. Des jeunes femmes peuvent effectuer des missions sans briser le tabou social de risquer leur vie, dit Mr Brom.
Les femmes sont supposées identifier quiconque s'approchant de manière suspecte de la barrière autour de Gaza, et, avec l'autorisation d'un officier, de l'exécuter en se servant de ses manettes.

L'armée israélienne qui projette d'introduire la technologie le long des autres lignes d'affrontement d'Israël refuse de dire combien de Palestiniens ont été tués par des mitrailleuses contrôlées à distance à Gaza. D'après les médias israéliens, il s'agirait cependant de plusieurs dizaines.

Le système a été introduit progressivement il y a deux ans pour la surveillance, mais les opérateurs n'ont pu l'utiliser pour ouvrir le feu que plus récemment. L'armée a admis avoir utilisé Tech de sentinelle en décembre pour tuer au moins deux Palestiniens qui se trouvaient à plusieurs centaines de mètres à l'intérieur de la barrière.

Le journal Haaretz, qui a bénéficié de l'accès rare à une chambre de contrôle Tech de sentinelle a cité un(e?) soldat(e?) Bar Keren, 20 ans, disant: «C'est très séduisant d'être celui (celle?) qui fait cela. Mais tout le monde ne veut pas ce boulot. Ce n'est pas une mince affaire de prendre une manette comme celle d'une tablette de jeu Sony et de tuer, mais finalement c'est pour la défense.» 

Les détecteurs de son sur les tours signifient que les femmes entendent le tir au moment où il tue la cible. Aucune femme, rapporte Haaretz, n'a failli à la tâche de tirer sur ce que l'armée appelle un Palestinien «in-discriminé».

L'armée israélienne qui impose une «zone-tampon» - un no-man's land non tracé à l'intérieur de la barrière qui s'enfonce d'une profondeur de 300 m dans la minuscule enclave - a été largement critiquée pour ouvrir le feu sur des civils entrant dans la zone fermée.

Dans des incidents séparés, en avril, un manifestant palestinien de 21 ans a été tué et une militante maltaise de solidarité a été blessée alors qu'ils participaient à des manifestations pour planter un drapeau palestinien dans la zone-tampon. La femme maltaise, Bianca Zammit, était en train de filmer par vidéo, au moment d'être touchée.
Il n'est pas évident que «repérer et tirer» ait été utilisé contre de telles manifestations.

L'armée israélienne prétend que la Tech de sentinelle est «révolutionnaire». Et cela rendra son marketing potentiel d'autant plus grand, car d'autres armées sont en quête d'innovations en technologies de «tuerie à distance».
On dit que Rafaël est en train de développer une version de Tech de sentinelle qui enverra des missiles guidés de longue portée.

Une autre sorte de matériel récemment développée par l'armée israélienne est le Guardium, une auto-robot blindée qui peut patrouiller un territoire à une vitesse allant jusqu'à 80 km/h, se frayer un chemin dans les villes, lancer des embuscades et tirer sur des cibles. Il patrouille maintenant aux frontières entre Israël et Gaza et le Liban.
Son inventeur israélien, G-Nius, l'a appelé le premier «robot-soldat» du monde. Il ressemble à la version imaginaire de la première génération du «robot-armure» porté par des soldats dans le film populaire récent de science-fiction, Avatar.

Rafaël a produit le premier patrouilleur naval sans équipage, le «Protecteur» qui a été vendu à la marine de Singapour et qui est fortement commercialisé aux USA. Un fonctionnaire de Rafaël, Patrick Bar-Avi, a raconté au quotidien des affaires Globes: «Les marines dans le monde entier ne commencent que maintenant à examiner les usages possibles de tels véhicules, et les possibilités sont infinies».

Mais Israël est surtout connu pour son rôle dans le développement de «véhicules aériens sans équipage» ou drones, comme on les connaît maintenant. Conçus originairement pour l'espionnage, et utilisé par Israël pour la première fois au Sud-Liban au début des années 1980, aujourd'hui ils sont de plus en plus utilisés pour des exécutions extra-judiciaires à partir du ciel. 

En février, Israël a officiellement dévoilé le drone Heron TP, long de 14 mètres , le plus grand jusqu'ici. Capable de voler d'Israël en Iran et de transporter plus d'une tonne d'armes, le Heron a été testé par Israël pendant l'Opération Plomb durci durant l'hiver 2008 quand quelques 1.400 Palestiniens ont été tués.

Plus de 40 pays utilisent maintenant des drones, dont beaucoup sont fabriqués en Israël, bien que jusqu'ici seules les armées israélienne et US les aient développés comme machines à tuer contrôlées à distance. Les drones israéliens sont largement utilisés en Afghanistan.

Des drones plus petits ont été vendus aux armées allemande, australienne, espagnole, française, russe, indienne et canadienne. On s'attend à ce que le Brésil utilise le drone pour assurer la sécurité pendant le championnat de la coupe du monde de 2014, et les gouvernements panaméen et salvadorien en veulent aussi,  soi-disant pour contrer des opérations de drogue.

Malgré sa crise diplomatique avec Ankara, il est rapporté que le mois dernier, Israël aurait complété un marché en vendant une flotte de 10 Heron à l'armée turque pour 185 millions US$.

Jonathan Cook
13.07.10

Jonathan Cook est un écrivain et un journaliste habitant à Nazareth en Israël. 
Ses derniers livres sont: Israël and the Clash of Civilisations: Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Israël et le choc des civilisations : Irak, Iran et le Plan pour redessiner le Moyen-Orient) (Pluto Press) et  Disappearing Palestine: Israel's Experiments in Human Despair ( La Palestine en disparition: l'expérience israélienne en désespoir humain.) (Zed Books).
Une version de cet article est parue originalement dans The National (www.thenational.ae) publié à Abou Dhabi.

Source: Counterpunch

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