mercredi 10 mars 2010
La duperie des Oscars...
Pourquoi tant de films sont-ils mauvais ? Les nominations aux Oscars cette année constituent un défilé de propagande, de stéréotypes et de malhonnêteté pure et simple. Le thème dominant est aussi vieux que Hollywood : le droit divin de l’Amérique d’envahir d’autres sociétés, de voler leur histoire et d’occuper nos mémoires. Quand est-ce que les metteurs en scène et les scénaristes se comporteront-ils enfin comme des artistes et non comme des prostituées au service d’une vision globale dévouée au contrôle et à la destruction?
J’ai grandi avec le mythe cinématographique du Far West, ce qui n’était pas bien méchant si vous aviez la chance de ne pas être un Amérindien. La formule n’a pas changé. Par des distorsions nombrilistes, l’agresseur colonialiste américain est présenté comme un être doté d’une noblesse destinée à couvrir les massacres, des Philippines jusqu’en Irak. Je n’ai réalisé toute la force de cette duperie que lorsque j’ai été envoyé comme reporter de guerre au Vietnam. Les Vietnamiens étaient des «chinetoques» et des «indiens» dont le meurtre en masse avait été préparé par les films de John Wayne avant d’être réexpédié à Hollywood pour y recevoir du glamour et une rédemption.
J’emploie expressément le mot "meurtre", parce que Hollywood réussit de manière brillante à faire disparaitre toute trace de vérité sur les agressions de l’Amérique. Il ne s’agit plus de guerres, mais de l’exportation d’une «culture» meurtrière, accro aux armes à feu. Et lorsque la version de psychopathes présentés comme des héros ne prend plus, le bain de sang se transforme en une «tragédie américaine» accompagnée d’une bande-son à vous arracher les larmes.
Le film de Kathryn Bigelow, Démineurs, est dans cette tradition. Favori pour plusieurs Oscars, son film est «meilleur que n’importe quel documentaire que j’ai vu sur la guerre en Irak. Il est tellement criant de vérité que j’ai eu peur.» (Paul Chambers, CNN). Peter Bradshaw du Guardian pense que le film possède une «clarté sans fard» et raconte «le long et douloureux processus qui se déroule en Irak» qui «en dit plus sur la souffrance, le mal et la tragédie de la guerre que tous les films chargés de bons sentiments réunis».
Quelle foutaise ! Son film offre un suspense vécu par procuration à travers un banal psychopathe modèle standard qui se shoot à la violence dans un pays étranger où la mort de millions de gens est reléguée aux oubliettes de l’histoire cinématographique. Tout le bruit autour de Bigalow vient du fait qu’elle pourrait être la première femme à remporter un Oscar. Quelle insulte que de voir une femme célébrée pour un film de guerre d’une violence typiquement machiste.
Toutes ces congratulations font penser à celles qui ont été entendues lors de la sortie de Voyage au Bout de l’Enfer (1978) que les critiques ont acclamé comme «le film qui pourrait débarrasser la nation de son sentiment de culpabilité!». Voyage au Bout de l’Enfer louait ceux qui avaient provoqué la mort de plus de 3 millions de Vietnamiens tout en réduisant ceux qui leur résistaient à de vagues silhouettes filiformes de communistes barbares. En 2001, le film de Ridley Scott, La Chute du faucon noir, présentait le catharsis similaire, et moins subtile, d’un nouvel «noble échec» américain en Somalie tout en omettant le massacre par les héros de 10.000 Somaliens.
Par contraste, le destin de l’admirable film de guerre américain, Redacted (Revu et Corrigé), est très instructif. Tourné en 2007 par Brian De Palma, le film est basé sur une histoire vraie, le viol en bande d’une adolescente irakienne et le meurtre de sa famille par des soldats américains. Pas d’héroïsme, pas de purgatoire. Les assassins sont des assassins, et la complicité d’Hollywood et des médias dans ce crime épique est brillamment décrit par De Palma. Le film se termine par une série de photos de civils irakiens assassinés. Lorsqu’il fut ordonné que leurs visages soient cachés, «pour des raisons juridiques», De Palma a déclaré, «je pense que c’est terrible parce que maintenant nous n’avons même pas accordé la dignité d’un visage à tous ces gens qui souffrent. La grande ironie est que Redacted (édité, revu et corrigé, en anglais) a été censuré.» Après une sortie en salles discrète aux Etats-Unis, le film a pour ainsi dire disparu des écrans.
Une humanité non-américaine (ou non-occidentale) n’est pas censée faire un bon score au box-office, qu’elle soit morte ou vivante. Ils ne sont que «l’autre» qui sont autorisés, dans le meilleur des cas, à être «sauvés» par nous. Dans le film Avatar, une fresque violente et film à succès de James Cameron, de nobles sauvages en 3-D appelés Na’vi ont besoin d’un bon soldat américain, le sergeant Jake Sully, pour les sauver. Ce qui prouve qu’ils sont bons. Coupez.
Personnellement, j’attribuerais l’Oscar du plus mauvais nominé à Invictus, une insulte onctueuse de Clint Eastwood à la lutte contre l’Apartheid en Afrique du Sud. Extrait de l’hagiographie de Nelson Mandela par le journaliste britannique John Carlin, le film aurait pu être tourné par la propagande de l’Apartheid. En promouvant une culture du rugby brutale et raciste comme la panacée de la «nation arc-en-ciel», Eastwood laisse à peine entrevoir que de nombreux Sud-Africains noirs étaient profondément troublés, pour ne pas dire blessés, par le soutien de Mandela à l’équipe des Springboks qui symbolisait leurs souffrances. Il esquive la violence des blancs, mais pas celle des noirs dont la menace est omniprésente. Quant aux Boers racistes, leur cœurs sont purs, car «nous ne savions pas». Le message subliminal n’est que trop familier : le colonialisme mérite le pardon et un arrangement, mais jamais une justice.
A début j’ai pensé que le film Invictus ne pouvait pas être pris au sérieux, et puis j’ai observé le public dans la salle, des jeunes et d’autres pour qui les horreurs de l’Apartheid ne signifiaient rien, et j’ai compris les dégâts qu’un tel travestissement pervers de l’histoire pouvait provoquer à notre mémoire et la leçon d’étique qu’il dispensait. Imaginez Eastwood tourner un film de joyeux bamboula situé dans le sud des Etats-Unis. Il n’oserait pas.
Le film le plus nominé pour les Oscars et loué par les critiques est In the Air, où George Clooney tient le rôle d’un homme qui voyage à travers l’Amérique pour licencier des gens et accumuler des points sur sa carte de fidélité aérienne. Avant que la banalité de la situation ne se dissolve dans les sentiments, tous les stéréotypes sont alignés, particulièrement sur les femmes. Il y a la garce, la sainte et la femme adultère. Néanmoins, il s’agit d’un «film sur notre époque», déclare le metteur en scène Jason Reitman, qui se vante d’avoir fait jouer des gens qui ont réellement été licenciés. «Nous les avons interviewés pour savoir ce que ça faisait de perdre son emploi en cette période de crise», dit-il, «puis nous les avons licenciés devant la caméra en leur demandant de réagir comme ils avaient réagi au moment de perdre leur emploi. Ce fut une expérience incroyable que de voir ces gens qui n’étaient pas des acteurs faire dans réalisme à 100%.»
Ouf, quel exploit.
John Pilger
11.02.10
Source: http://www.johnpilger.com/page.asp?partid=566
Traduction VD pour le Grand Soir
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire