vendredi 30 avril 2010

Un tiers des Islandais sous le seuil de pauvreté



Si les caprices du volcan et son nuage de cendres ont beaucoup ennuyé les Européens et détourné les Islandais de leurs misères quotidiennes, une brève du 24 avril 2010, parue dans Icenews, n’en a pas moins rappelé les Vikings aux dures réalités de la crise actuelle. En effet, par la voix du premier ministre Johanna Sigurdardottir, on apprenait de source gouvernementale ce que beaucoup conjecturaient depuis longtemps: l’inflation islandaise est galopante: 36% en deux ans sur les biens comestibles. Ce chiffre alarme d’autant plus les autorités qu’il n’a pas encore été intégré dans le calcul du seuil de pauvreté.

Quelle que soit la méthodologie que l’on applique ou le crédit que l’on accorde à cette donnée, le calcul du seuil de pauvreté nous renseigne avant tout sur le regard que nous portons sur nos sociétés. Calculer et reconnaître un seuil de pauvreté revient à évaluer officiellement quelle frange de la population est laissée pour compte. Et, ici, en Islande, les chiffres font frémir. Car, suivant les données de Statistics Iceland, le revenu disponible mensuel d’un individu doit être supérieur à 160.000 kr (940 € à l’heure où nous couchons ces lignes) pour que cette personne soit considérée comme vivant au-dessus du seuil de pauvreté.

Cette inflation de 36% en deux ans et ce chiffre de 160.000 kr, nous ont immédiatement rappelés aux informations communiquées le 23 février 2010 dans MBL par le ministre des finances, Steingrímur J. Sigfússon, et relatives aux revenus des contribuables islandais: 100.000 d’entre eux déclareront cette année moins de 119.000 kr de revenus mensuels (700 €), soit 32% de la population. Par ailleurs, 63.000 personnes déclareront des revenus mensuels situés en 119.000 kr (700 €) et 200.000 kr (1170 €), soit 20 %.

Un tiers des Islandais dans la précarité
A supposer que cette dernière tranche de contribuables se répartissent harmonieusement au-dessus et en-dessous du seuil de pauvreté de 160.000 kr, cela signifierait que 10 % de la population seraient à comptabiliser en plus parmi les précaires. Ceci ferait grimper à 42% de la population, le nombre d’insulaires vivant avec des revenus inférieurs à ceux que les Islandais considèrent comme symboliques de la pauvreté. Certes, les chiffres que nous avançons ici ne prennent pas en compte les revenus du patrimoine, mais il convient de remarquer que les précaires sont rarement ceux qui vivent de leurs rentes… Oui, plus d’un tiers de la population islandaise vit sous le seuil de pauvreté officiel. Il y a fort à parier que certains d’entre eux iront rejoindre la file de ceux qui ne vivent plus que de l’aide alimentaire fournie par les associations caritatives (1% de la population).

Cette précarité envahit le quotidien partout en Islande. Si Reykjavík a été la première touchée, vu qu’elle concentrait les services en général et le secteur bancaire en particulier (son effondrement en 2008 a marqué l’éclatement de la crise), c’est maintenant la campagne qui est touchée. Au village, certains proclamaient l’année dernière encore: “Ekki kreppa hérna!” (Pas de crise ici) Ils se taisent désormais. Maintenant, on ferme les portes des maisons, car la rumeur court que le vandalisme se répand à vive allure, et certains lèvent des regards pudiques en posant cette question oratoire: “Er erfitt að finna vinnu?” (Est-il dur de trouver du boulot?) Décidément, rares sont ceux qui sont épargnés!

Une grande dame au chevet de l’Islande
Que l’on apprécie ou pas l’orientation politique d’Eva Joly, on ne peut nier quelques-unes de ses qualités: sa détermination, son courage face à toutes pressions politiques et cette froide objectivité – fondement même de la justice. Cette grande dame était dernièrement l’invitée d’Anne-Sophie Lapix (Dimanche Plus). Elle y a salué le travail remarquable mené par son équipe en Islande, lequel a conduit à la publication du fameux rapport sur la chute du système bancaire, ouvrage devenu best-seller ici et que l’on nomme sobrement “skýrslan” (le rapport). La juge franco-norvégienne, qui, s’étant jadis illustrée dans le dossier Elf, avait été engagée par le gouvernement islandais afin d’enquêter sur l’effondrement de 2008, a néanmoins rappelé que le rapport n’était pas une fin en soi et que justice devait désormais se faire. Les procédures risquent de prendre du temps, et Eva Joly a signifié clairement qu’en France, on trouve encore l’un ou l’autre sénateur qui n’a jamais eu à rendre compte de ses malversations supposées…

Mais les Islandais auront-ils encore le courage d’attendre? Nous signalions dans nos derniers articles la montée de la xénophobie et nous mentionnions plus haut le sentiment d’insécurité qui s’installe. A quand l’éclatement de la violence?

L’Islande ne peut pas continuer seule
Le gouvernement semble désormais prendre conscience que le pays ne pourra pas se sortir seul de l’impasse. Il soigne son image: tandis que la population se mobilise pour aider les fermes du sud, sinistrées par les pluies de cendre, et, partant, redonner un visage présentable à la région avant que la horde des touristes ne déferle, l’exécutif se fendait tout dernièrement d’une déclaration officielle à l’endroit du FMI et y promettait que l’Islande s’acquitterait de sa dette envers les Pays-Bas et le Royaume-Uni, c’est-à-dire qu’on leur rembourserait - capital et intérêts - les 3,5 milliards d’euros avancés pour dédommager les clients malheureux, floués lors de la faillite d’Icesave (filiale en ligne de la Landsbankinn). Bien sûr, cette déclaration s’adressait également aux gouvernements britannique et néerlandais avec lesquels Madame Johanna Sigurdardottir se passerait bien de prolonger la passe d’arme autour de ce dossier épineux (les Islandais sont majoritairement hostiles au remboursement).

Mais une analyse plus fine de l’actualité nous montrera que, par ce communiqué officiel, le gouvernement islandais cherchait aussi à se couvrir au niveau international des conséquences d’un nouvel effondrement. En effet, le 23 avril 2010, on apprenait dans Icenews que deux nouvelles banques d’épargne, à court de liquidités, venaient d’être nationalisées. Comme ce fut le cas précédemment, les dépôts des épargnants seront garantis intégralement. Au-delà de la question de savoir comment de telles faillites peuvent encore se produire actuellement alors que l’on croyait le secteur purgé, on comprend aisément que le gouvernement n’aurait pas pu garantir ouvertement les épargnants islandais des conséquences de la faillite, tout en rechignant à dédommager les clients étrangers.

Poursuivre les coupables faute de mieux
Dans le même temps, nous apprenions le 21 avril 2010 que les avoirs des tycoons, accusés de tenir un rôle clé dans la crise islandaise, seraient gelés. Le ministre des finance déclarait en substance que les investigations commenceraient par les dossiers fiscaux et seraient poussées plus loin au besoin. Il semble, en effet, qu’une chasse à l’homme soit engagée, et qu’elle touche maintenant le milieu des affaires après avoir éclaboussé le monde politique comme nous le signalions naguère.

Tandis qu’on enquête sur les fraudes fiscales de certains, et qu’on brandit la menace de deux ans de prison devant les politiques qui s’avéreraient coupables de négligence lors des mois qui ont précédé la faillite des banques, plus d’un tiers des Islandais vivent sous le seuil de pauvreté. Atterrant!

Renaud Mercier & Nicolas Jacoup
27.04.10
Source: minorités

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