dimanche 18 avril 2010
Un plan de paix américain...et une guerre israélienne contre le Hezbollah ?
Derrière une trompeuse immobilité de surface, une partie diplomatique et stratégique lourde de menaces continue de se jouer au Proche-Orient. Trois semaines après la rencontre, présentée comme très difficile par les deux parties, entre Benjamin Netanyahu et Barack Obama, la Maison Blanche n'a toujours pas obtenu les engagements qu'elle attendait du gouvernement Israélien pour «rétablir la confiance» avec les Palestiniens. Or cette étape indispensable conditionne l'ouverture des négociations indirectes que devait conduire l'émissaire George Mitchell entre Ramallah et Jerusalem.
D'abord demandées au premier ministre israélien, dans des termes très fermes, par la secrétaire d'Etat Hillary Clinton, après l'esclandre provoqué par l'annonce de la construction de 1600 logements dans une colonie de la périphérie de Jerusalem, au moment même où le vice président américain Joseph Biden se trouvait en Israël, ces engagements ont été réclamés, non moins fermement, à Benjamin Netanyahu par les collaborateurs de Barack Obama puis par le président en personne. Le premier ministre israélien avait demandé un délai pour consulter ses conseillers et son gouvernement. Délai qui a été étendu en raison des célébrations de la Pâque juive. Les célébrations sont maintenant terminées depuis près de deux semaines mais la réponse israélienne se fait toujours attendre.
Les mesures attendues de Netanyahu
La Maison Blanche n'a pas rendu publique la liste des engagements attendus du premier ministre israélien, mais par recoupement de fuites et de confidences de part et d'autre, on estime qu'elle comprenait notamment les mesures suivantes: gel des constructions dans les colonies à Jérusalem-Est et respect strict du moratoire sur l'arrêt des constructions en Cisjordanie; levée de certains barrages et check-points en Cisjordanie, pour faciliter la circulation et stimuler l'activité économique; libération de plusieurs centaines (voire de 2000) de prisonniers du Fatah, détenus en Israël, pour restaurer la crédibilité du président palestinien; passage sous contrôle de l'Autorité palestinienne de certaines zones de Cisjordanie - dont la localité d'Abou Dis, à l'Est de Jérusalem - actuellement sous contrôle israélien; allègement du blocus de la bande de Gaza, et autorisation d'y faire entrer des matériaux de construction destinés à réparer les dégâts de l'opération «plomb durci»; engagement à aborder dès le début des négociations indirectes les questions liées au statut final des négociations (frontières, colonies, Jérusalem, réfugiés, eau, sécurité...), au lieu de consacrer ces pourparlers aux questions de calendrier et de procédures, comme le souhaitait la partie israélienne.
La majeure partie, de ces mesures, on le voit, étaient très difficiles à faire accepter par la coalition de droite et d'extrême droite qui soutient Benjamin Netanyahu. Peut-être grisé par l'accueil enthousiaste qu'il avait reçu à Washington lors du congrès de l'Aipac, le principal lobby pro-israélien des Etats-Unis, très favorable au Likoud, le premier ministre israélien a semblé réagir comme si le rapport de forces politique aux Etats-Unis ne lui était pas défavorable et, surtout, comme s'il avait tout son temps. Ce qui n'était pas exactement le cas.
La nécessité pour le premier ministre israélien d'avoir à s'expliquer, devant le président américain, sur son absence de réponse, a sans doute été, autant que le risque de s'exposer à une offensive diplomatique turco-arabe contre l'armement nucléaire israélien, à l'origine du refus de Netanyahu de se rendre comme prévu, la semaine dernière, à Washington, pour la conférence internationale sur la sécurité nucléaire.
Et cela même si cette réunion offrait à Israël une tribune providentielle pour défendre sa thèse stratégique favorite: la possession par le régime de Téhéran d'une arme nucléaire constitue pour Israël une menace majeure, qui devrait être traitée en priorité par les Etats-Unis et leurs alliés, au contraire de la question israélo-palestinienne qui peut attendre.
Des dizaines de milliers de Palestiniens «expulsables»
Le gouvernement israélien a-t-il, au moins, pendant ce long délai de trois semaines, progressé dans la réflexion sur les engagements à prendre pour rétablir la confiance avec les Palestiniens? En apparence, non. Il semble même avoir conclu que l'heure n'est pas aux gestes d'ouverture en direction des Palestiniens et de Washington. Alors que des initiatives destinées à assouplir la réglementation militaire en vigueur en Cisjordanie et à faciliter la vie quotidienne des Palestiniens étaient attendues, c'est une mesure allant exactement à l'encontre de cet objectif qui a été prise mardi dernier.
Ce jour-là en effet sont entrés en vigueur deux «ordres» des Forces de défense d'Israël (n°1649 et n°1650) qui, selon les organisations israéliennes de défense des droits de l'homme, ouvrent la voie à l'expulsion possible de Cisjordanie de plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens.
Fondés sur des dispositions adoptées en 1969, pour réprimer l'infiltration en Israël de Palestiniens soupçonnés de terrorisme, en provenance des pays ennemis voisins (Jordanie, Egypte, Liban,Syrie), ces deux ordres, signés en réalité, discrètement, le 13 octobre dernier par le général Gadi Shamni, alors commandant des forces israéliennes en Cisjordanie, ont pour effet pratique de transformer en «infiltrés» tous les Palestiniens qui se trouvent en Cisjordanie sans posséder un permis - délivré par l'armée - les autorisant à y résider ou séjourner.
L'accusation «d'infiltration» relevant de l'atteinte criminelle à la sécurité d'Israël, les «suspects» ne seront plus jugés comme de simples «immigrants illégaux» par les tribunaux civils mais déférés aux tribunaux militaires, ce qui les expose à des peines de prison de trois à sept ans, à de lourdes amendes, voire à l'expulsion pure et simple du territoire.
«L'aveuglement politique de Netanyahu»
Qui est visé par ces ordres? Tous les résidents de Cisjordanie ou presque. Sont plus immédiatement menacés ceux qui possèdent une carte d'identité portant une adresse dans la bande de Gaza, ceux qui sont nés en Cisjordanie mais qui pour diverses raisons (études, affaires, réunion de famille) ont séjourné longtemps à l'étranger, les résidents de Jerusalem-Est contrôlés en Cisjordanie, et les conjoints étrangers de Palestiniens ou Palestiniennes de Cisjordanie. Pourront aussi être visés les Palestiniens de Cisjordanie qui vivent à proximité du mur et de la barrière de séparation et qui doivent détenir un permis spécial - même s'ils sont nés là - pour résider dans cette zone jugée «sensible» par l'armée.
Une négligence dans le renouvellement du document où un refus de l'armée les exposera du jour au lendemain à la prison ou à l'expulsion vers un pays voisin. L'armée - qui délivre ou non les permis - étant simultanément chargée de juger les contrevenants, les organisations de défense des droits de l'homme redoutent que les juges militaires confrontés à des «infiltrés» soient beaucoup plus intransigeants que les magistrats civils à qui il arrivait parfois de tenir compte de considérations humanitaires notamment dans les cas de regroupement familial. S'ajoutant aux multiples contrôles, harcèlements bureaucratiques et humiliations diverses qui font le quotidien des habitants de la Cisjordanie, ces mesures ont été accueillies avec un sentiment de révolte d'autant plus grand qu'elles ne s'appliquent évidemment pas aux 500 000 israéliens qui vivent dans les colonies de Cisjordanie et de la périphérie de Jérusalem.
L'entrée en vigueur de ces deux ordres militaires, au moment même où Hillary Clinton salue «l'efficacité et l'engagement des forces de sécurité de l'Autorité palestinienne» et où la Banque mondiale, constate, dans un rapport de 31 pages, les «progrès constants» accomplis par l'Autorité palestinienne en matière de sécurité et de construction de ses institutions a provoqué une violente réaction du principal négociateur palestinien.
Au cours d'un entretien avec des journalistes, mercredi à Ramallah, Saëb Erakat, a dénoncé un «système d'apartheid» et «l'aveuglement politique de Netanyahu» qui a choisi, selon lui, «les colons contre la paix». Les responsables de l'Autorité palestinienne, comme les organisations de défense des droits de l'homme relèvent par ailleurs que ces deux ordres militaires violent clairement la Quatrième Convention de Genève qui interdit à une puissance occupante de chasser de leurs foyers les civils placés de fait sous son contrôle.
Un nouveau plan de paix à l'automne
On comprend, dans ces conditions, que l'administration Obama manifeste une certaine irritation devant la mauvaise volonté israélienne. Confrontés à deux guerres - en Irak et en Afghanistan - et au difficile dossier du nucléaire irakien, les responsables du Pentagone et du Conseil de sécurité insistent, avec l'aval désormais explicite du président, sur la nécessité dans laquelle ils se trouvent d'obtenir et de préserver le soutien de la majeure partie du monde arabe. Et ils répètent, depuis plusieurs semaines désormais, que de ce point de vue, le conflit qui se prolonge au Proche-Orient représente un fardeau pour les Etats-Unis. Barack Obama a rappelé mardi que la résolution du conflit israélo-palestinien était «une question de sécurité nationale vitale pour les Etats-Unis» car elle avait «un coût significatif en sang et en ressources financières»
Il n'est pas question pour Washington, de revenir sur le caractère stratégique et historique de l'alliance entre les Etats-Unis et Israël, ni d'évoquer d'éventuelles menaces de pressions sur Jérusalem - les assurances sont claires sur ces points - mais de faire comprendre à Benjamin Netanyahu qu'on attend plus et mieux de lui.
C'était d'ailleurs le sens de l'intervention d'Hillary Clinton, jeudi devant les membres d'un centre de recherches pour la paix au Moyen-Orient. «Notre administration n'a pas l'intention d'imposer un accord aux deux parties, a déclaré la secrétaire d'Etat, mais Israël ne peut pas reculer devant les choix difficiles qui doivent être faits pour parvenir à la paix avec les Palestiniens».
Même s'il ne s'agit pas «d'imposer un accord» aux deux parties, Washington, semble t-il, pense sérieusement à présenter, peut-être dès cet automne, un «plan de paix pour le Proche-Orient» qui serait notamment fondé sur les avancées obtenues à Camp David en juillet 2000, puis à Taba, en janvier 2001.
Le président américain, selon le Washington Post, aurait pris cette décision après avoir recueilli l'avis de six anciens conseillers pour la sécurité des présidents démocrates et républicains, réunis par le général Jim Jones, actuel titulaire du poste.
Au lieu de tenter d'obtenir des deux parties des concessions et d'offrir des propositions de rapprochement, comme projetait de le faire George Mitchell, les collaborateurs de Barack Obama envisageraient, sur les conseils de ces experts, de faire progresser les deux parties à partir des positions déjà acquises sur les questions des frontières, du «droit au retour» des réfugiés palestiniens, du statut de Jérusalem et de la sécurité.
Ce plan, toujours selon les informations recueillies par David Ignatius du Washington Post, serait mis en œuvre en même temps que les mesures destinées à convaincre - voire contraindre - l'Iran de renoncer à ses ambitions nucléaires militaires. L'objectif étant de ne pas laisser le problème palestinien sans solution, pour le plus grand bénéfice de l'Iran et des extrémistes islamistes, prompts à se présenter en défenseurs des opprimés. Une partie des conseillers de Barack Obama estimeraient que ce plan de paix doit se substituer purement et simplement au projet de «négociations indirectes». D'autres jugeraient qu'il faut laisser une chance à la navette diplomatique de George Mitchell et mettre en œuvre ce plan en cas d'échec des négociations. Echec tenu pour probable, étant donné l'intransigeance actuelle d'Israël.
Des livraisons de Scud au Hezbollah
Face à ces projets, qui témoignent au moins d'une volonté d'agir sur le dossier israélo-palestinien - c'est-à-dire d'une claire rupture avec l'ère Bush (junior) - les soutiens américains de l'actuel gouvernement israélien, qui soupçonnent Barack Obama d'aborder la situation au Proche-Orient avec une approche «biaisée» (lire, anti-israélienne) ont commencé à se mobiliser. L'Aipac a publié des lettres à Hillary Clinton, signées par 76 sénateurs (sur 100) et 333 représentants (sur 435) demandant à l'administration Obama de tout faire pour apaiser la tension actuelle entre les Etats-Unis et Israël. De son côté, Ronald Lauder, président du Congrès juif mondial a adressé à Barack Obama une lettre ouverte dans laquelle il lui demande pourquoi le discours sur le Proche-Orient de l'administration américaine donne tellement l'impression de rendre Israël responsable du blocage des négociations de paix.
En Israël, pendant ce temps, se multiplient les déclarations officielles et les rumeurs sur la livraison par la Syrie de missiles Scud-D au Hezbollah libanais. Peu avant de prendre l'avion pour Paris, où il a assisté à l'inauguration de la controversée promenade Ben Gourion, le président israélien Shimon Pérès a ajouté son crédit à ces bruits dénonçant, devant des journalistes, la duplicité de Damas qui «parle de paix tout en livrant des Scud au Hezbollah».
L'éventuelle possession de Scud par le mouvement chiite libanais est considérée comme une menace sérieuse par les militaires israéliens car ces missiles balistiques de longue portée mettraient toutes les agglomérations israéliennes à portée de tir du sud-Liban.
Washington comme Paris ont pour l'instant pris note des déclarations israéliennes sans confirmer leur véracité. «Si ces livraisons avaient vraiment eu lieu, il est clair qu'elles exposeraient le Liban à des risques réels» a commenté le porte-parole du département d'Etat, Philip Crowley. Il est clair aussi sans doute que la confirmation de ces livraisons mettrait en péril l'approbation par le Sénat de la désignation de Robert Ford comme ambassadeur américain à Damas ou Washington n'avait plus de chef de mission diplomatique depuis cinq ans.
Parce que les responsables militaires israéliens rêvent de rétablir la capacité dissuasive de leur armée, mise à mal lors de l'offensive au sud-Liban en 2006, face au Hezbollah, parce qu'ils répètent, depuis des mois que le Hezbollah a reconstitué un stock de 40 000 roquettes dans des bunkers du sud-Liban, parce qu'une opération militaire au sud-Liban détournerait au moins un temps l'attention du dossier israélo-palestinien, le risque d'une opération israélienne au pays du cèdre est désormais considéré par les diplomates et les experts de la région comme réel à moyen voire à court terme. C'est aussi le message que le roi Abdallah II de Jordanie a transmis à Barack Obama, lors de sa visite à Washington lundi dernier.
René Backmann
17.04.10
Source: nouvel obs
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