Au Moyen Âge le prêtre disait au bon peuple quels étaient le «vrai Dieu» et la «vraie foi». Il n’était pas question à l’homme du peuple d’avoir la moindre initiative dans ce domaine. Les «docteurs de la foi» pourvoyaient à toutes les situations et répondaient à toutes les interrogations. Aujourd’hui les choses ont-elles si radicalement changé ? On est en droit de se le demander…
Le règne de l'expert
L’expert ! Ah l’expert ! Mais qui est l’expert ?
Comment ça,… vous en êtes encore à poser cette question ? Mais enfin, vous n’y pensez pas… L’expert ne se définit pas,… Il est ! L’expert c’est comme la cellule d’aide psychologique,… il existe, et ne saurait pas ne pas exister. Il est plus qu’une mode, il est une institution. De même que la cellule d’aide psychologique est censée réparer les dégâts, l’expert est celui qui va expliquer ce qui les a produits.
S’il ne s’en tenait qu’à cette fonction, encore aurait-il, dans un certain nombre de domaines, une réelle utilité… Mais l’expert aujourd’hui, c’est plus que ça. Son champ de compétence a largement dépassé celui de la technique stricte. Son champ d’intervention a accompagné en réalité l’élargissement de celle-ci.
La «technique», en effet, à l’image de la religion autrefois a pénétré tous les domaines de la vie sociale. Il s’agit d’une explication des phénomènes, parfaitement extérieurs aux êtres humains. Alors que les voies du Seigneur sont impénétrables, les secrets de la technique ne sont pénétrables que par les experts.
L’expert, est le «sésame ouvre toi» de tous les phénomènes car lui seul a la clé… ou sait où la trouver. L’expert ne connaît qu’un seul égal,… le «contre-expert», lui-même expert, et lui seul habilité à aller à l’encontre du premier... Ce qui est généralement le cas. L’un et l’autre vont d’ailleurs de concert, sinon aux mêmes conclusions,… la vérité serait multiple ( ?).
Technique et marchandise
La marchandise a tout envahi, ou du moins est en passe de tout envahir, la technique prend le même chemin… et les deux font la paire. Ainsi aujourd’hui, nous avons des experts en tout, y compris là où on les attend le moins. Certes, dans les domaines techniques, ce qui n’est pas choquant, et même logique (encore que ! voyez la catastrophe AZF !), mais on en trouve aussi, et c’est beaucoup plus problématique dans les sciences moins exactes, en particulier dans les sciences sociales… Et c’est actuellement en économie que les experts «excellent».
L’économie cette branche de la science sociale qui a toujours nourri un complexe d’infériorité à l’égard de ses «sœurs», les sciences exactes, a trouvé avec l’économie de marché le champ inespéré de la réalisation de ses fantasmes originels: la rationalité, l’objectivité,… bref la scientificité (?).
Le marché a fourni le substrat théorique, et pratique, de cette mutation inespérée. Ses mécanismes ont été érigés en lois universelles incontestables et auxquelles chacun doit fidélité. Les experts sont les gardiens du temple de la marchandise, ils officient dans les médias et guident le «bon peuple» dans la juste voie. Leur parole est incontestable et ne saurait être contestée par le vulgaire,… entendez, vous et moi.
Et la citoyenneté dans tout ça?...
Là est la vraie question.
Soyons clairs ! Si l’économie, se réduit aux mécanismes du marché et aux réflexes purement rationnels de l’homo économicus, alors, il n’y a plus place dans notre société pour le citoyen… C’est un peu comme si on demandait au peuple de se prononcer régulièrement sur l’intensité de la gravitation ou les fluctuations du champ magnétique terrestre.
Pourtant c’est exactement cela qui se passe.
D’un côté nous avons les experts porte-parole des économistes «officiels» et politiciens, qui expliquent doctement ce qui est, et ce qui devrait être. Leur qualité d’«expert» interdit à quiconque de remettre en question leur diagnostic et leurs prévisions. Ils savent, eux… D’un autre côté nous avons le citoyen à qui on demande d’exprimer son opinion sur les mêmes questions traitées par l’expert.
Question : quel sens peut avoir l’opinion du citoyen face à la parole de l’expert ?
De deux choses l’une, ou bien le citoyen et l’expert sont d’accords sur le diagnostic et les mesures à prendre,… et dans ce cas pas de problème ; ou bien ils ne le sont pas, et là se pose la question: «lequel des deux a raison?».
En principe dans une démocratie c’est le citoyen qui a le dernier mot. Or ce n’est pas du tout ce qui se passe dans la réalité.
Des exemples ? Le Traité Constitutionnel Européen rejeté par les citoyens manipulé par les experts et politiciens pour le faire adopter. Le système des retraites déclaré inadapté par les experts. Les services publics, déclarés non rentables par les experts. Les banques en faillites, sauvées par les experts financiers… etc, etc.
Autrement dit toute décision importante, engageant l’avenir de la vie sociale, les conditions de vie actuelles et celles des générations futures, sont entre les mains des politiciens et de leurs experts. Le citoyen qui n’est pas d’accord passe pour un imbécile et un incompétent. Son opinion est nulle et non avenue. Son opinion n’a de sens que si elle est conforme à l’avis des experts. Autrement dit, ce ne sont pas les citoyens qui décident, mais les experts,… les élections n’étant qu’un prétexte pour donner l’illusion de la démocratie.
Ainsi, la réalité sociale est mise en «coupe réglée» par les experts. L’avis du citoyen n’a aucune espèce d’importance, puisqu’il ne sait pas,… seul l’expert sait. Or l’expert raisonne suivant les lois du système marchand: rentabilité, compétitivité et non bien sûr en fonction des besoins et aspirations de la population. De toute manière lui seul sait quels sont les besoins et les aspirations… à quoi bon les exprimer puisqu’elles sont intégrées dans les modèles mathématiques des experts?
On peut désormais en conclure que la citoyenneté est morte, victime de la technicisation de la vie sociale, de la prise de pouvoir de fait de l’expert au détriment du citoyen et de la démission politique de celui-ci. La société, et ses mécanismes de fonctionnement, sont beaucoup trop complexes pour les laisser à l’appréciation du peuple. Celui-ci a besoin de personnes compétentes, d’experts qui sauront lui dire quels sont ses besoins et leurs limites et qui sauront prendre les décisions adéquates.
La démocratie est morte, place au règne d’une aristocratie d’experts, de gens «compétents» qui sauront dire au peuple ce qui est bon pour lui… C’est d’ailleurs, exactement ce qui est en train de se passer. Mais surtout n’oubliez pas d’aller voter pour cette «élite»,… dans un système qui se veut démocratique les apparences de la légitimité doivent être sauves.
Patrick Mignard
avril 2010
Note:
cette dérive à propos des "experts" et des "spécialistes" a été largement soulignée dans le livre de Daniel Vanhove: La Démocratie Mensonge - 2008 - Ed. Marco Pietteur - coll. Oser Dire (ndlr)
Source: altermonde-sans-frontières
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