Les promesses de transparence de Barack Obama permettent de révéler peu à peu une partie des sombres dessous du règne de George W. Bush, notamment ceux relatifs au fonctionnement de la CIA. Fin juillet, le gouvernement US a “déclassifié” un certain nombre de documents concernant les abus dans les prisons secrètes de l’agence à l’étranger, et le procureur général des Etats-Unis, Eric H. Holder Jr, a chargé un procureur fédéral d’une enquête sur un rapport de 2004 de l’inspecteur général de la CIA qui mentionnait des mauvais traitements et plusieurs morts de détenus.
Ces mesures ont déclenché la fureur des Républicains, emmenés par l’ancienne éminence grise de Bush, Dick Cheney, qui a déclaré qu’elles mettaient en péril la sécurité de la nation. Leur emboîtant le pas, la CIA a refusé de rendre publiques des centaines de pages d’enregistrements intérieurs d’interrogatoires et de conditions d’existence des prisonniers.
Dans sa déclaration de 32 pages au tribunal fédéral de New York, l’agence écrit : “Rendre publiques les procédures d’interrogatoire risque d’amoindrir la capacité du gouvernement US de questionner efficacement les prisonniers terroristes et d’en obtenir l’information nécessaire à la protection du peuple américain. Ces méthodes font partie intégrante du programme d’interrogation du gouvernement et sont donc considérées comme top-secrètes.”
On comprend les réticences de la CIA, quand on prend connaissance des quelques documents déjà rendus publics. Ils ont de quoi provoquer un choc.
Sans doute est-il d’usage, dans l’univers carcéral, de règlementer le traitement des détenus, et aucun gouvernement ne néglige la torture comme moyen d’information.
Mais les documents de la CIA sont effarants par la minutie avec laquelle est détaillée l’exercice de la cruauté. Les fonctionnaires américains de la douleur avaient méticuleusement élaboré un manuel de son application qui évoque la tatillonne bureaucratie de Kafka. Tout y était prévu, à la virgule, à la seconde près. Le degré de souffrance à infliger, ce qu’un être humain peur endurer, les limites à ne pas franchir, les contrôles à effectuer.
A partir de sa capture, un suspect de terrorisme important, appelé “détenu de haute valeur”, était intégré à un programme précis. Amené en couches de bébé au “site noir”, il se voyait raser la tête et le visage et mis à nu pour être photographié. Puis commençait un régime de suppression de sommeil et d’alimentation limitée.
Sa cellule devait être éclairée par deux ampoules fluorescentes de 17 watts, pas une de plus, pas une de moins. Un bruitage musical était constant, mais ne devait jamais excéder 79 décibels. Le prisonnier pouvait être douché par de l’eau à 5 degrés, mais seulement pendant 20 minutes par séance. Sa nourriture était fixée à 1.500 calories par jour. On pouvait l’enfermer nu dans une boîte pendant huit heures si la boîte était grande, deux heures si la boîte était petite. Le temps écoulé, il avait le droit de se rhabiller. Rapidement.
L’interrogatoire (baptisé “technique d’interrogation perfectionnée”) allait de “la gifle pour capter l’attention” jusqu’aux procédés brutaux du wall-slamming (fracasser contre le mur) ou du waterboarding.(1) Pour ce dernier, la CIA exigeait des rapports circonstanciés. “De manière à fonder correctement les futures recommandations et prescriptions médicales, il est important que chaque application du waterboard soit minutieusement documentée” figurait dans le bréviaire de l’interrogateur. Il fallait enregistrer la durée exacte de l’application, combien d’eau avait été utilisée (en tenant compte des éclaboussures) et comment elle avait été ingurgitée, si la victime avait été correctement baillonnée et si ses conduits naso-pharyngiens avaient été bouchés, la quantité et la nature de l’eau ou de la matière rejetée (vomie), la durée des intervalles entre chaque séance, et l’aspect du détenu durant ces intervalles. Selon une directive de 2004, le waterboarding ne devait pas dépasser deux sessions de deux heures chacune par jour, en présence d’un médecin et d’un psychologue. La torture était scientifiquement prescrite avec la précision d’un laboratoire.
Il semble que ces procédés aient été désormais interdits par Obama. Pas tellement par humanité, plutôt parce que de nombreux spécialistes ont démontré qu’ils ne servaient à rien. Les informations extorquées par la violence sont souvent fausses, parce qu’arrachées à des sujets à bout de forces qui disent n’importe quoi. Il n’en reste pas moins qu’ils ont existé et passablement terni la pure image des USA. De plus, les prisons secrètes n’ont pas disparu, même si Guantanamo a du plomb dans l’aile, et il y fort à parier que les durs de l’inquisition anti-terroriste n’abandonneront pas de sitôt le principe des “interrogations perfectionnées”.
D’après le New York Times des 27 juillet et du 3 août 2009.
Source: B. I. n° 147, octobre 2009.
Notes:
(1) Waterboarding ou technique de la noyade: le sujet est attaché et maintenu couché. On lui applique sur le visage un tissu imbibé d'eau. La respiration devient difficile, le sujet est asphyxié, pendant qu'on lui déverse de grandes quantité d'eau sur le visage, il a l'impression de se noyer. D'après la CIA, l'origine de cette technique semble remonter à l'Inquisition espagnole.
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