L'éducation et la formation sont les parents très pauvres du financement du milieu carcéral. Quid de la mission de réinsertion?
Nos prisons sont des lieux réels et concrets. Dans la Région bruxelloise, où sont implantées les prisons de Saint-Gilles, de Berkendael et de Forest, plus d’un quart de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Selon une enquête réalisée en 2001, Septante-cinq pour cent de la population pénitentiaire en Belgique est issue de familles où le père est chômeur, ouvrier, manœuvre ou inconnu ! Depuis, la situation n’a fait que se dégrader : nos prisons enferment quasi uniquement des personnes issues des classes populaires. Quarante-cinq pou cent de cette population carcérale n’a qu’un diplôme d’études primaires. Trenet pour cent n’a pas de diplôme du tout.
Je pourrais continuer à citer des chiffres accablants. Mais tout le monde les connaît. La seule question qui se pose est : pourquoi il n’y a pas de volonté politique pour y remédier ? Où est le « plan Marshall » pour les quartiers populaires ? Où est « l’intervention de crise » comme pour les banques ? Pourquoi n’y a-t-il pas un plan pour transformer les prisons en écoles ?
Eduquer pour réinsérer
Voyons de plus près l’état de la formation dans les prisons, censée préparer la réinsertion des détenus ...
D’abord, la vision sur l’importance ou non de l’éducation en prison a tout à voir avec la mission dévolue à la prison par la société. Cette mission est quasi exclusivement sécuritaire. Vous avez certainement entendu parler de l’installation de nouveaux câbles au-dessus des préaux pour empêcher toute évasion, mais pas d’installation de nouveaux locaux pour la formation des détenus. La formation n’a pas vraiment sa place en prison. Elle dérange la sécurité. Elle reste une source de travail supplémentaire pour le personnel pénitentiaire. Elle constitue un facteur de risque, de trouble, d’incident potentiel.
Ensuite, le secteur de l’éducation en prison, tel qu’on le connaît aujourd’hui en Belgique, remonte aux années soixante et septante. Quarante ans plus tard, il faut constater que l’éducation et la formation en prison, à l’exception des formations professionnelles dispensées par la promotion sociale, ne relèvent toujours pas de la responsabilité de l’État mais des « associations » qui travaillent comme sous-traitants et prennent la plus grande part du travail sur elles. Toutes les associations d’éducation et de formation, même celles qui ont des décennies de travail derrière elles, doivent justifier chaque année leur droit d’existence aux nombreuses instances belges et européennes qui les subsidient. Elles doivent se disputer ces subsides et les places disponibles; leurs travailleurs n’ont aucune garantie d’emploi à long terme. Dans ces conditions, comment une politique d’éducation à long terme serait-elle possible ?
Enfin, le secteur de l’éducation en prison dépend et continue à dépendre de la bonne volonté des directions et des syndicats; il varie d’établissement à établissement. Dans tous les conflits, dans les multiples grèves du personnel des prisons de ces dernières années, avez-vous entendu la voix et les revendications des éducateurs et des enseignants ? Non, parce qu’ils n’ont rien à dire dans les prisons. Quand il y a grève dans les prisons, le secteur éducatif est tout simplement mis au chômage technique, c’est tout.
Le droit à la formation en prison, formellement reconnu par la loi, est contourné dans la pratique. Ce droit peut être uniquement réservé à certaines ailes de la prison. Si en tant que détenu vous ne vous trouvez pas dans la bonne aile, vous n’y avez pas droit. Les demandes de formation émanant des prisonniers, même dans les ailes concernées, sont beaucoup plus nombreuses que les réponses qu’on peut y apporter. Si vous avez un travail comme détenu, il se peut que vous n’ayez plus droit à la formation. Si vous choisissez de ne pas travailler et de suivre des formations, dans beaucoup de cas, vous ne toucherez rien, même pas les misérables 60 cent par heure qu’on gagne en travaillant. Si en tant que détenu vous êtes puni pour un mauvais comportement, qui n’a rien à voir avec un comportement pendant la formation, votre droit à la formation est retiré, comme faisant partie de la punition.
Besoin d'engagement
Il faut une intervention de l’État qui nationalise et reprenne tout le secteur associatif et qui accorde à tous ses travailleurs un statut égal et un travail stable. Le secteur de l’éducation, de la formation, du suivi des détenus pendant et après leur détention…deviendrait ainsi une composante à part entière du monde carcéral. Non pour que le secteur de la formation devienne un prolongement de la Justice ou de l’autorité carcérale, mais pour que son statut et sa vocation indépendante soient pleinement affirmés.
Pour que le droit à la formation en prison devienne réalité, des centaines de forces supplémentaires sont nécessaires. Il faut en premier lieu engager des gens de terrain comme professeurs. Plein de gens compétents pourraient apporter une contribution décisive dans les prisons. Parmi les forces disponibles, citons des ex-détenus qui se sont formés professionnellement comme éducateur, des membres des familles de détenus, de familles de victimes, des acteurs du monde du travail qui ont une expérience de la vie de l’immigration et celle du monde du travail et syndical, des travailleurs au chômage, des pré pensionnés ou pensionnés qui ont une connaissance des métiers et de la technique.
Espaces adaptés
Si on veut vraiment que le droit à la formation en prison devienne réalité, on a besoin de construction d’espaces de formation. De vrais espaces de formation, pas des espaces confinés de la taille d’une ou deux cellules. La formation est et reste marginale. Elle est parfois repoussée dans des coins insalubres, dans les parloirs, dans des classes sans décoration, sans matériel ou de moyens d’éducation modernes et performants. Les enseignants et les éducateurs ont tout simplement besoin d’un espace matériel, physique, visible. Ils ont besoin de dizaines de mètres carrés en plus. Si nécessaire, il faut diminuer le nombre de cellules, sans remplacement. Cela obligera à trouver des solutions alternatives pour les détenus concernés parmi lesquels des malades, des handicapés, des patients psychiatriques….
Enfin, la formation doit s’adapter à la population carcérale. Si la population noire est sur-représentée dans les prisons aux Etats-Unis, le même phénomène se produit depuis dix ans en Europe. Ici, c’est l’immigration récente (Europe de l’Est) et les personnes de la deuxième et troisième génération d’origine maghrébine qui sont sur-représentées dans nos prisons. 44% de toute la population carcérale en Belgique n’a pas la nationalité belge. Des prisonniers non belges qui ne comprennent ni le néerlandais ni le français sont souvent regroupés dans des étages spéciaux, souvent sans droit à la formation, parce que on n’investit pas en eux: on les expulse. Le secteur de la formation est là pour revendiquer le droit à l’enseignement aussi pour eux.
Le monde éducatif ne s’est pas encore suffisamment penché sur cette nouvelle situation et ne dispose pas d’une approche adaptée. Qui tient compte de l’identité culturelle, religieuse ou linguistique des détenus ? Où sont les cours en arabe ? Où sont cours qui expliquent l’héritage d’ Abdelkrim, de Mehdi Ben Barka, des soldats marocains morts dans les guerres occidentales, de la lutte pour la décolonisation de l’Algérie?
Luk Vervaet
Enseignant en milieu carcéral.
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