dimanche 7 février 2010
Chili : L’Affairisme au Pouvoir… le "Berlusconi chilien" est arrivé...
«... Nous découvrons dans leurs multiples aspects les rois gangsters de Shakespeare et les gangsters royaux des films noirs.»
Edgar Morin (1)
Le “Berlusconi chilien” est arrivé...
Il entrera officiellement en fonction le 11 mars prochain : président du Chili. C’est ainsi qu’est surnommé Sebastián Piñera, vainqueur des élections du 17 janvier dernier sur son rival Eduardo Frei. (2)
Premier président du Chili “de droite” élu depuis 50 ans, nous dit-on... Raccourci ambigu. Comme si depuis un demi-siècle, le Chili avait vécu dans un enfer communiste ou un purgatoire socialiste. Oubliant coups d’Etat et dictatures militaires, qui ont jalonné l’histoire de ce pays comme celle de ses voisins d’Amérique latine.
Elu, sur fond de fraudes électorales...
Nos “journalistes d’investigation” ne l’ont pas remarqué, encore moins analysé, contrairement à de nombreux observateurs ; il y eut moins de votes exprimés qu’il y a vingt ans : 7, 145 millions contre 7, 251 millions. (3)
Il est vrai qu’il n’y avait que 8 millions d’inscrits, au lieu de 12 millions potentiellement aptes à voter. Sur une population évaluée, d’après les recensements officiels, à plus de 17 millions d’habitants. Ce sont donc de 3,8 à 4 millions de chiliens non inscrits sur les listes électorales. Soit, environ, 31 % des citoyens exclus du droit de vote.
Qu’importe...
Sebastián Piñera n’avait en face de lui qu’une coalition hétéroclite de “centre gauche”, usée par le pouvoir. Pouvoir gangréné par son cortège inévitable de pathologies se développant, avec le temps, dans un panier de crabes de rivalités personnelles : corruption, népotisme, gabegie, incompétence...
Malgré une cote de popularité de 80% dont bénéficiait personnellement la précédente présidente, Michelle Bachelet. Mais, elle terminait ses deux mandats de quatre ans et, constitutionnellement, ne pouvait se représenter.
Manipulation des listes électorales, pressions des grands propriétaires terriens, dans les zones rurales, montagneuses, d’un pays de 4.200 km de longueur, dominé par la Cordillère des Andes. Non compris l’Ile de Pâques, presque au milieu du Pacifique...
Qu’importe...
Fraudes ou pas, estampillé «démocratie occidentale», le Chili n’aura pas droit au même traitement que le Venezuela, la Bolivie, ou l’Equateur... Les présidents démocratiquement élus de ces pays, avec de confortables majorités, sont l’objet de la détestation des oligarchies occidentales, diabolisés en permanence par la propagande de leurs médias : Hugo Chavez, Evo Morales, Rafael Correa.
N’a-t-on pas idée !... Vouloir que les immenses richesses de leurs pays, mines et hydrocarbures tout particulièrement, soient exploitées et partagées au profit de leurs habitants et non pas uniquement pour les actionnaires étrangers des multinationales mondialisées !...
Inadmissible d’après dogmes, paradigmes, rhétoriques, idéologies, de l’Empire occidental. D’où leur excommunication, sans égard pour leur légitimité électorale et leur popularité nationales, de la “Communauté Internationale des Démocraties et des Droits de l’Homme”...
De plus, notre habitus colonial, notre racisme viscéral, conscient ou inconscient, sont confortés dans leur plénitude : la famille de Sebastián Piñera est membre de la caste européenne, la plus prestigieuse en Amérique latine, descendante des colons espagnols. Rien à voir avec ces mestizos, ces métis, à moitié ou en totalité, amérindiens, indigènes, tels que les Chavez, Morales ou Correa...
On est entre gens “civilisés”, partageant les mêmes valeurs... (4)
Sebastián Piñera et sa famille auront beau avoir démultiplié leur fortune sous une des plus sanguinaires, implacables, dictatures militaires de la fin du XX° siècle, ce ne seront que félicitations et encouragements des chefs d’Etat occidentaux pour son intronisation. Le nôtre, saluant en lui "un homme de rassemblement et d’ouverture".
Normal : cette dictature se posait en championne du Libéralisme Economique !... «Nous torturons, mais c’est pour mieux privatiser»...
Diplômé en économie de Harvard, qu’il enseigna par la suite au Chili, il a édifié, avec sa famille déjà richissime, une des plus grandes fortunes d’Amérique latine et du monde (701° d’après Forbes...) sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet. Qui, rappelons-le, à la suite d’un violent coup d’Etat organisé avec les néoconservateurs américains, avait renversé le gouvernement régulièrement élu de Salvador Allende. Au cours duquel, ce dernier fut assassiné.
Oui. Mouillé jusqu’au cou dans cette dictature aux milliers de gens torturés, enlevés, emprisonnés, disparus, assassinés. Lui et sa famille en ont été parmi les exécuteurs, les rouages, essentiels sur le plan économique. (5)
Son frère, Pablo, a été un des responsables de la Banque Centrale du pays. José, un autre de ses frères, a occupé plusieurs postes ministériels : ministre du Travail puis, hautement stratégique sur le plan financier, ministre des Mines, dont on sait combien elles sont considérables, au Chili, en termes de richesses.
Profitant, pour fructifier le Business familial, d’une quasi exclusivité dans l’octroi d’autorisations administratives, l’accès à des informations économiques, la priorité dans les “privatisations” du patrimoine national qui ont fait la fortune des oligarchies locales et de leurs commanditaires “les multinationales”. Schéma éprouvé, rodé, imposé, dans le monde entier.
Il fut au cœur des manœuvres boursières les plus effrénées pendant la libéralisation à outrance de l’économie chilienne, avec des marges spéculatives fabuleuses. Au cours de ces années fastueuses qui ont vu des fortunes grandir non pas en fonction de la valeur ajoutée créée, mais en vertu de la croissance exponentielle des profits spéculatifs.
Evidemment, évoluer impunément, avec autant de facilité, à ce niveau d’enrichissement rapide et colossal, ne peut se faire que si vous êtes en parallèle l’homme de paille des détenteurs du pouvoir. Dictature ou autocratie, “pouvoir” sous la forme de sa “violence légale” (ce qui ne veut pas dire : “légitime”...) : armée, police, services spéciaux. Une règle d’or, dans la prédation : pas d’accaparement, sans renvoi d’ascenseur. De préférence,dans un paradis fiscal...
Sebastián Piñera possède ainsi, intégralement ou en tant qu’actionnaire majoritaire, une multitude d’affaires : médias, télévision (100% de Chilevision), compagnie aérienne, réseau pharmaceutique, sociétés agricoles, immobilières, minières, club de football, etc.
Sans oublier le secteur financier, puisqu’il fut actionnaire majoritaire, entre autres, de Bancard, puis de Fincard, introduisant les cartes bancaires au Chili, allant jusqu’à détenir près de 90 % de ce marché... Pour en revendre le contrôle, avec de confortables plus-values, à des groupes étrangers soucieux de trouver des parts de marchés déjà rentables.
Pas étonnant que le Chili, avec un tel vandalisme de caste, figure parmi les pays les plus inégalitaires du monde en matière de revenus (coefficient Gini).
Malgré son réseau et ses protections, Sebastián Piñera n’a jamais cessé d’être impliqué ou inquiété sur le plan judiciaire, dans plusieurs affaires douteuses.
La plus connue est la faillite frauduleuse d’une Banque (Banco de Talca), dont il était le dirigeant. Les liquidateurs judiciaires découvrirent un montant supérieur à 200 millions de dollars (après actualisation, ce serait au minimum le triple aujourd’hui) de créances non recouvrables.
Sommes accordées à des sociétés fantômes, sans aucune existence légale et, bien sûr, sans aucune garantie. Opérations saupoudrées sur 150 entreprises fictives, destinées, par un simple jeu d’écritures, à racheter les actions de la banque par ses propres dirigeants.
Un mandat d’arrêt à son encontre avait été lancé le 28 août 1982.
La Cour Suprême souhaitant protéger un des membres éminents de la nomenklatura a, non seulement, annulé le mandat, mais encore, l’a “blanchi”.
Dans une déclaration récente, la ministre de la Justice de l’époque, Mónica Madariaga, a reconnu être intervenue pour faire pression sur la Cour Suprême, à la demande du propre frère de l’accusé, José Piñera. Qui était alors son collègue, ministre de l’Agriculture (6), dans le gouvernement dictatorial de Pinochet.
C’était en juillet 2009... Pourquoi parler près de 30 ans après les faits?... Culpabilité, remord?... Frustration, rancune, pour n’avoir pas été récompensée à la juste mesure du geste et du risque?... Les abysses des combinaisons politico-juridiques, de leur règlement, de leur dénouement, sont insondables...
Même après la dictature de Pinochet, la cascade d’affaires poursuit son débit. Notamment, en juillet 2007, dans un “délit d’initié” de grande envergure. Pour avoir eu accès à des informations privilégiées lui permettant de prendre le contrôle de la compagnie aérienne du pays, LAN, à la suite d’une opération boursière à des conditions avantageuses.
Plus récemment, en mars 2009, on le retrouve impliqué dans un scandale “d’entente illicite” entre chaînes de pharmacie chiliennes, en tant qu’actionnaire de Farmacias Ahumada (FASA), la plus grande chaine de pharmacies du pays.
En résumé, Sebastián Piñera aura utilisé toute la palette des astuces, spéculations et magouilles financières possibles et imaginables. Les tartufes appellent cela : "ingénierie financière"...
N’accablons pas l’homme...
Il n’est que la personnification d’un système.
Michael Moore le rappelle dans son dernier film : “Capitalism is evil ... you have to eliminate it”. Il sortira le 26 février prochain, avec un titre posant parfaitement l’ambigüité ou l’ambivalence de cette quadrature du cercle : Capitalism : A Love Story.
Libéralisme ?... Capitalisme ?... Capitalisme “sauvage” ?...
Ou, tout simplement, cette forme modernisée du plus vieux régime politique de l’humanité qu’est La Ploutocratie, avec pour fondement : La Loi du Plus Fort ?...
Ploutocratie, qui s’affirme et s’assume dans ses médias en «droite décomplexée»...
L’affairisme au pouvoir...
Finalement...
N’aurait-il pas raison Tchouang Tseu, ou Zhouang Zhi suivant les transcriptions du chinois en français, ce grand Maître du Tao ?... Quatre siècles avant notre ère... (8) :
«L’on ne sait ce que l’on doit le plus admirer : la ruse des dirigeants ou l’idiotie des gouvernés ! Les peuples vénèrent les canailles qui les plument. Ils y voient, peut-être pas tout à fait à tort, une garantie d’efficacité dans un monde qui ne jure plus que par le profit.»
Georges Stanechy
04.02.10
Notes:
(1) Edgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Seuil, 2000, p. 108.
(2) Suffrages “exprimés” : 51,61% contre 48,38%.
(3) Ernesto Carmona, Que s’est-il passé au Chili ?, 18 janvier 2010, http://www.elcorreo.eu.org/article.php3?id_article=4624
(4) Sebastian Piñera,homme d’affaires d’une droite décomplexée, Le Point, 18 janvier 2010, http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2010-01-18/portrait-pinera-homme-d-affaires-d-une-droite-decomplexee/924/0/414544
(5) Ana Verónica Peňa, La historia no contada de los orígenes de la fortuna de Sebastián Piñera - Inversionista en fuga (L’histoire non racontée des origines de la fortune de Sebastián Piñera – Investisseur en fuite), La Nación Domingo, 19 avril 2009,
http://www.lnd.cl/prontus_noticias_v2/site/artic/20090418/pags/20090418205903.html
(6) Ministra de Pinochet logró libertad de Piñera en los ’80 , La Nación, 24 juillet 2009, http://www.lanacion.cl/prontus_noticias_v2/site/artic/20090724/pags/20090724011437.html
(7) Cf. article de Chris McGreal, sur le film de Michael Moore Capitalism : A Love Story, dans le Guardian du 30 janvier 2010 : ’Capitalism is evil ... you have to eliminate it’, http://www.guardian.co.uk/theguardian/2010/jan/30/michael-moore-capitalism-a-love-story
(8) Cité par Jean Lévi, Tchouang Tseu – Maître du Tao, Pygmalion, 2006, p. 106.
Source: legrandsoir
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