samedi 27 février 2010

Kouchner crée "États sans frontières"



L’exclamation de Bernard Kouchner dans le Journal du dimanche («Un État palestinien, vite!») nous en dit sans doute plus sur le mode de fonctionnement du gouvernement français et de son ministre que sur le sort du conflit israélo-palestinien. Aussitôt prononcé et aussitôt «tempéré» par François Fillon depuis Amman, et ignoré lundi soir par Nicolas Sarkozy, le slogan lancé le jour de l’arrivée de Mahmoud Abbas à Paris suscite l’incrédulité. Entre les murs de ce vieil hôtel second empire du Quai d’Orsay, où l’on est, par tradition, si économe de ses mots, Bernard Kouchner continue de dessiner de grands moulinets avec ses bras et à laisser échapper des flots d’approximations qu’il passe encore plus de temps à démentir qu’à proférer.

Au-delà même de cette personnalité très «a-diplomatique», les «appels» inconséquents à la création d’un État palestinien ont déjà une trop longue histoire pour que nous jouions encore les Candides. Ariel Sharon, George Bush et, plus récemment, Benyamin Netanyahou se sont tous adonnés à des promesses de cette nature, avec la sincérité que l’on sait. Sans parler de l’adhésion quasi métaphysique au «principe» de la création d’un État palestinien à quoi on reconnaît généralement quelques-uns de nos intellectuels les plus inconditionnels de la politique israélienne. Tout le monde, ou presque, est «favorable» à un État palestinien, surtout quand on ignore tout de ses contours, et que la colonisation israélienne peut continuer de galoper. D’ailleurs, dès lundi, Bernard Kouchner semblait avoir oublié sa proposition, dont il ne dit mot dans la tribune qu’il a cosignée dans le Monde avec son homologue espagnol, Miguel Angel Moratinos.

Deux stratégies en deux jours, c’est au moins une de trop ! La seconde, celle qu’il partage avec son alter ego espagnol, nous semble plus sérieuse puisqu’il s’agit d’établir un «calendrier de négociations» sur les questions du statut final de l’État palestinien, c’est-à-dire précisément sur ce que notre ministre renvoyait aux calendes grecques dans son entretien au JDD. Encore faudrait-il que les délais soient très courts et contraignants. Un mot encore sur l’«État sans frontières» de Bernard Kouchner. On s’étonnera qu’il prenne à peu près l’exact contre-pied du plan ébauché par l’émissaire de Barack Obama, George Mitchell, qui, lui, fixait comme préalable le tracé des frontières. Ce qui paraît nettement plus pertinent puisque c’est sur ce point – les frontières, le partage de Jérusalem et la décolonisation – que l’opposition d’Israël est la plus rude. Et c’est là, tout de suite, que la pression internationale doit s’exercer. Hélas, les États-Unis ont eux-mêmes affaibli leur plan en renonçant à garantir que le tracé de frontières serait accompli sous deux ans, comme George Mitchell l’avait initialement indiqué. Ce qui donnait un contenu politique à leur engagement.

Tout au plus, la déclaration de Bernard Kouchner peut-elle être aujourd’hui rapprochée de la stratégie conduite par le Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, qui préconise la construction d’un État «dans les faits et sur le terrain» en 2011, c’est-à-dire par la multiplication de projets économiques. Mais lui n’a pas les moyens d’affronter Israël. D’autant moins que le leadership palestinien est toujours divisé. Il est donc dans son rôle quand il prépare la société palestinienne à un avenir, même hypothétique. Toutefois, son pari n’a de sens que si les grandes puissances font «leur job», c’est-à-dire font ce que lui ne peut pas faire : exercer une forte pression sur Israël. L’impératif de cet affrontement diplomatique et économique est incontournable. C’est à cela qu’on jugera de la sincérité des plans.

Hors de cela, aucun n’a plus de vertus intrinsèques. Aujourd’hui, tout le monde semble comprendre que les choses ne peuvent pas durer, mais personne n’est prêt à prendre ses responsabilités. Jamais sans doute l’image d’Israël n’a été aussi dégradée. L’épisode des agents du Mossad épinglés à Dubaï n’ajoute rien à sa gloire. La campagne internationale qui s’amorce en faveur de sanctions à l’initiative des sociétés civiles est redoutée. Mais toutes les grandes capitales regimbent devant l’hypothèse d’une crise. Laisser une fois encore pourrir la situation serait pourtant désastreux. Les Palestiniens, ceux de Gaza surtout, ne peuvent rester dans cet entre-deux. Et il ne faut pas sous-estimer la capacité israélienne à brouiller brusquement les cartes par une nouvelle guerre contre le Hezbollah libanais, une autre offensive contre Gaza, sans parler d’une action militaire contre l’Iran, aux conséquences incalculables. Que de ruses et de tergiversations, décidément, pour obtenir d’un État comme les autres qu’il applique comme les autres les résolutions des Nations unies !

Denis Sieffert
25.02.10

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