samedi 28 août 2010

Le salut des femmes ne viendra pas de l’Occident


 



Contrairement à de nombreuses affirmations, l’intervention militaire occidentale n’a pas permis de protéger les Afghanes contre les talibans. Les alliés sont incapables d’améliorer leur sort, analyse le spécialiste James Fergusson.


Le sort de Bibi Sanubar, cette veuve afghane condamnée par les talibans à recevoir deux cents coups de fouet avant d’être exécutée en public pour être tombée enceinte, a suscité l’indignation en Occident. Quelques jours auparavant, le magazine Time avait publié une photo particulièrement choquante d’Aisha, une jeune fille de 18 ans à qui l’on avait coupé le nez pour s’être enfuie de chez sa belle-famille. A l’heure où l’on parle tant de réconciliation politique avec les chefs talibans, la question de leur attitude vis-à-vis des femmes reste aussi délicate qu’à leur arrivée au pouvoir, au milieu des années 1990.

Si révoltant le traitement réservé à Bibi Sanubar soit-il, nous devons nous garder de nous laisser submerger par nos émotions. Quel que soit le désir des Occidentaux de voir un changement dans la société afghane, cela n’a jamais été la raison première de notre intervention militaire dans le pays, pas plus que cela ne justifie le maintien du commandant des forces internationales en Afghanistan, le général David Petraeus, qui s’est efforcé de clarifier ce point en novembre 2009. “N’oublions pas ce pour quoi nous sommes en Afghanistan, a-t-il déclaré. Notre mission est de veiller à ce que ce pays ne puisse plus servir de sanctuaire à Al-Qaida.” Les droits des femmes sont importants, mais ils ne sont pas directement liés à la menace que constitue la nébuleuse terroriste. Cela ne veut pas dire que l’Occident doive croiser les bras et regarder en silence. Toutefois, il ne servirait à rien d’imposer un changement par la force. Si les mœurs doivent évoluer, le mouvement doit venir de la société elle-même, ce qui finira bien par arriver.

Il serait plutôt utile de mieux comprendre les talibans. La brutalité des châtiments qu’ils infligent à la population semble parfois totalement incompréhensible aux Occidentaux. Les très sévères règles en matière de relations sexuelles que les talibans défendent trouvent leur source dans les traditions observées par les Pachtounes [qui représentent environ 40 % de la population afghane], dont l’objectif principal est de protéger l’intégrité de la tribu, et donc de limiter les relations adultères et l’arrivée de gènes étrangers. “Les Pachtounes doivent procréer selon les règles pour produire des guerriers”, écrivait le poète Ghani Khan en 1947. “La future mère de l’homme de demain doit être jalousement gardée… Mort à ceux qui osent mettre en péril la pureté de la tribu.” Le procédé est “dur et brutal”, reconnaît Khan, mais il fonctionne.

L’inquiétante une du magazine Time qui titre sur fond apocalyptique “Ce qui se passera si nous quittons l’Afghanistan” est parfaitement fallacieuse vu que le scénario décrit est déjà une réalité alors que nous sommes encore là-bas. Je suis convaincu, depuis quatorze ans que j’étudie les talibans, que leur cas n’est pas désespéré. Cela peut paraître étonnant mais, dans les années 1990, les chefs talibans ne se considéraient pas comme des oppresseurs des femmes, mais comme leurs protecteurs. Leur principal objectif était de ramener l’ordre dans un pays dévasté par cinq ans d’une terrible guerre civile. “La première raison de leur ascension est liée à l’acceptation tacite par bon nombre d’Afghans, notamment les Pachtounes, de céder une partie de leurs libertés pour mettre fin au perpétuel chaos et ramener un peu d’ordre et de sécurité dans le pays”, expliquait Robin Raphel, assistant du secrétaire d’Etat américain, lors d’une session de l’ONU à New York en novembre 1996. Pour bon nombre d’Afghans, y compris de femmes, l’oppression n’était rien comparée aux viols massifs et aux massacres des années précédentes. Les talibans apparaissaient comme la solution la moins mauvaise et bon nombre d’Afghans sont toujours de cet avis (alors que 1 250 civils sont morts cette année). [Plus de 1 320 selon la Commission indépendante afghane pour les droits de l’homme. Les insurgés talibans sont tenus pour responsables de 68 % de ces morts violentes.] Pour Shukria Barakzai, députée pachtoune et militante des droits des femmes, l’Occident n’a jamais compris son pays. “J’ai changé d’opinion sur les talibans il y a trois ans, quand j’ai compris que les Afghans ne pouvaient compter que sur eux-mêmes”, déclarait-elle récemment. “Les talibans font partie de l’Afghanistan. Leurs idées sont différentes mais, en tant que démocrates, c’est quelque chose que nous devons accepter.” La position de Shukria Barakzai est d’autant plus étonnante qu’elle a elle-même été victime du célèbre Comité de la promotion de la vertu et la prévention du vice, qui l’a rouée de coups en 1999 parce qu’elle s’était rendue chez le médecin sans être accompagnée de son mari. Même si elle défend aujourd’hui l’idée d’un compromis politique avec les talibans, quel autre choix avons-nous que l’écouter?

En matière d’égalité, pas de leçon à donner
En Occident, l’égalité entre les sexes est considérée – à juste titre – comme un droit absolu. Pourtant aucun pays, certainement pas le Royaume-Uni, n’est parvenu à réellement faire appliquer ce droit sur son propre territoire. Si l’Occident a inspiré une partie de la nouvelle Constitution afghane de 2003, l’obligation d’élire 25 % de députés femmes relève de la pure hypocrisie. Même après les élections de 2010, la démocratie parlementaire britannique – légèrement plus ancienne que sa consœur afghane – n’est parvenue qu’à 22 % de femmes députés. Le droit de vote pour les femmes n’a pas été imposé au Royaume-Uni, il est né d’un long débat interne, ainsi qu’il se doit pour une question relevant si pleinement de la souveraineté d’un Etat. L’Afghanistan finira par changer, mais il le fera de l’intérieur et à son propre rythme. Nos soldats ne devraient pas mourir pour cela.

James Fergusson
25.08.10
Spécialiste de l’Afghanistan. Il vient de publier Taliban [inédit en français] chez Bantam Press.
Source: courrier international

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