dimanche 1 août 2010

Pourquoi le Pakistan devrait-il nous faire confiance ?




Les ’fuites’ relatives à la guerre en Afghanistan ont révélé jusque dans le détail la méfiance et la tension qui sont au cœur du rapport de l’Occident avec l’Afghanistan et le Pakistan. Néanmoins, cette méfiance n’est pas simplement le produit d’une guerre longue de neuf ans, mais des décennies de contrôle économique qui ont semé inégalité, injustice et une gouvernance épouvantable à travers le monde musulman.

En effet, alors que les gouvernements occidentaux s’érigent en donneurs de leçons vis-à-vis de pays comme le Pakistan ainsi que David Cameron l’a fait ce matin (28 juillet), cela doit sembler une plaisanterie cruelle à beaucoup dans ce pays. La contribution de l’Occident dans le monde ayant en effet été une longue histoire d’afflux de prêts pour alimenter la violence, soutenir des régimes non démocratiques, souvent brutaux et exacerber la pauvreté.

Alors que le Pakistan est un pays où la population sachant lire et écrire n'est seulement que de 54 % et où 38 % de petits enfants sont en insuffisance pondérale, il dépense néanmoins 3 milliards$ par an au titre du service de ses dettes – presque trois fois ce que le gouvernement dépense en matière de santé publique.

Les prêts ont afflué au Pakistan pour maintenir au pouvoir des gouvernements militaires. Sous le régime militaire le plus récent du général Musharraf, la dette du Pakistan est passée de 32$ à 49$ milliards.

A cet égard, un prêt plus récent du FMI (Fonds Monétaire International) de 7.6$ milliards afin que le pays continue à rembourser ses vieilles dettes, est instructif. Les conditions liées à ce prêt comprennent: la réduction des déficits budgétaires, la fin des subsides au combustible et à l’électricité et l’augmentation des impôts indirects. Comme toujours, ce sont les gens ordinaires qui paieront pour ’les largesses’ de l’Occident qui a maintenu au pouvoir des gouvernements serviles vis-à-vis des intérêts occidentaux, sans considération pour leur peuple.

Évidemment une telle injustice ne s’arrête pas au Pakistan. Quand on regarde l’Indonésie qualifiée de pays émergent avec une économie florissante, ce sont toujours 61 % de sa population qui vivent avec moins de $2 par jour.

Comme M. Cameron nous l’a rappelé ce matin la lutte contre la pauvreté en Inde tout comme en Indonésie est fondamentale pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Mais tout comme pour l’Inde, cela semble une priorité secondaire comparée à la vente d’une flotte d’avions de chasse à ce pays. L’Indonésie paie toujours pour semblable générosité. Le pays paie 2.5$ millions de l’heure au titre du service de ses dettes représentant 150$ milliards, une grande partie de cette dette étant le fait de prêts au dictateur brutal le général Suharto.

Suharto était coupable de crimes contre l’humanité en massacrant jusqu’à 1 million d’activistes politiques dans sa première année en fonction, ceci sans compter les massacres massifs de son occupation d’îles comme le Timor-Est et Aceh. Il a également contracté un endettement massif.

L’Indonésie doit toujours plus de 500$ millions au Royaume-Uni pour les avions Hawk, les tanks Scorpion et d’autres équipements militaires vendus à Suharto, le sujet de notre nouvelle campagne ‘Affaires Douteuses’. Ces armes ont été utilisées contre les civils, par exemple en réprimant des étudiants universitaires et pendant les attaques sur Aceh. Aujourd’hui, ces prêts sont remboursés par ceux-là mêmes qui en ont subi les effets.

L’Indonésie aurait d’ailleurs déjà remboursé ces prêts si ce n’était la crise du Sud-Est asiatique de 1997, dans laquelle les spéculateurs financiers ont dévasté le pays, et le FMI contrôlé par l’Occident a imposé comme remède ses recettes toxiques de privatisation et d’austérité. Alors que des millions des gens tombaient en chômage et des milliers de compagnies se déclaraient en faillite, les dettes aux mêmes institutions donneuses de mauvais conseils ont continué d’augmenter.

Est-il surprenant que les Indonésiens pensent que leurs vies comptent moins que les intérêts financiers et stratégiques de l’Occident?

Et puis, il y a le Liban, un pays qui dépense 50 % de son budget en service de ses dettes, alors que le pays était déchiré par la guerre civile et l’occupation – c’est deux fois plus que ce que le Liban dépense pour l’éducation et la santé combinées.

Le Liban est considéré comme pays à revenu intermédiaire de la catégorie supérieure, mais a de grandes poches de pauvreté. Près de 300.000 personnes sont dans l’incapacité de satisfaire à leurs besoins fondamentaux, et ils ont tendance à être concentrés en fonction de caractéristiques religieuses, ce qui alimente davantage la tension et la méfiance parmi la population chiite.

L’Afghanistan lui-même, poussé dans le processus d’annulation de dettes pour empêcher tout examen embarrassant de son passé de prêts, a été forcé de privatiser ses banques comme condition pour l’annulation de sa dette. Même ainsi, l’Afghanistan reviendra au même point d’un lourd endettement dans les prochaines années – cela sert le gouvernement qui a besoin de cet argent pour se maintenir au pouvoir et qui sert l’Occident qui a besoin de l’endettement pour en garder le contrôle après le départ des militaires.

Voilà juste quelques raisons pour lesquelles les mots de démocratie, stabilité et lutte contre la pauvreté sonnent faux dans la plupart du monde Musulman – et même au-delà de celui-ci. Le contrôle est maintenu par ce même système économique profondément injuste, en jouant sur une fraction minoritaire contre une autre, et en déclenchant même des conflits lorsque tout le reste échoue. Il est dès lors impossible de voir comment la démocratie, la stabilité et la confiance peuvent être construits sur une telle base.

Cela exigerait quelque chose de bien plus radical, mais non impossible pour autant.
Il est possible d’arrêter de prêter si injustement, en imposant différentes normes aux prêts: comme d’annuler des dettes basées sur des prêts qui n’auraient jamais eu lieu d’être; ou d’arrêter d’obliger des pays à rembourser ce qu’ils ne peuvent se permettre ou de les obliger à orienter leurs économies dans nos intérêts simplement parce que nous le pouvons.

Comme les remboursements de ces dettes profondément nuisibles continuent à assécher la richesse des pays musulmans – de l’Indonésie à l’Afghanistan, du Liban au Pakistan – nous devons nous rendre compte que les dettes ou si vous préférez les réparations que nos gouvernements doivent au monde musulman sont vastes et croissantes. La confiance ne sera pas possible tant que celles-ci ne seront pas payées.

Nick Dearden
29.07.10
Source: CADTM (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde)

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