dimanche 15 novembre 2009

« Air Sarko One »

Ce sera un petit Elysée volant : l’Air Force One français comprendra un poste de transmissions dernier cri, des installations médicales, une salle de réunion, un bureau, une chambre à coucher avec salle de bains, un système de leurres antimissiles, etc. L’avion présidentiel ne sera cependant pas disponible avant la fin de l’année prochaine : il faudra un an pour aménager en « Air Sarko one », l’Airbus A330 racheté à Air Caraïbes (tout un programme !) - le tout sur les crédits du ministère de la Défense, ce qui ajoute à l’indignation de plusieurs députés de l’opposition.

La décision d’acquérir cet appareil remonterait à juin 2007 : le président français Nicolas Sarkozy, fraîchement élu, s’était retrouvé — avec son « minuscule » Airbus A319 de l’ETEC [1], sur la piste de l’aéroport de Rostock, en Allemagne orientale, à l’occasion d’un sommet du G8, faisant pâle figure à côté du mastodonte Air Force One du président Bush [2]. Un début d’incendie sur le réacteur d’un A319, lors d’un départ vers le continent africain en mars dernier, avait agacé le numéro un français, et renforcé sa conviction qu’il fallait accélérer le renouvellement de la flotte gouvernementale.

D’où l’argumentaire développé depuis par l’Elysée pour justifier cet achat, considéré à gauche comme somptuaire ou inutile :
— une autonomie de 11 000 km (qui évitera les sauts de puce, avec escales, des appareils gouvernementaux actuels) ;
— un achat d’occasion (60 millions d’euros — soit la moitié du neuf — mais sans l’aménagement VIP, estimé à une trentaine de millions supplémentaires) ;
— le remplacement des deux A319 actuels, qui sont plus récents, mais dont les performances sont trop limitées ;
— une moindre pollution générée par cet appareil unique ;
— un outil efficace de gestion gouvernementale, grâce à un équipement sophistiqué en matière de communications, transmissions ; etc.

« Grande nation »
Problème : cet appareil... sera unique, c’est-à-dire forcément indisponible à un moment ou un autre (voir le cas du porte-avions Charles de Gaulle !). Et l’heure de vol passera à 20 000 euros en moyenne (contre 12 000 sur A319).

Choqués par l’acquisition d’un avion surdimensionné — et réservé de fait à un « hyper-président » qui ne cesse d’«exploser» ses dépenses de fonctionnement —, les députés du groupe Socialiste, Radical et Citoyen ont profité de l’examen de la mission « défense », dans la loi de finance 2010, pour demander un « redéploiement » des quelque 180 millions d’euros que coûtent l’achat et l’aménagement de l’Airbus A330, ainsi que l’acquisition d’un second Falcon 7X [3], au profit de secteurs qu’ils estiment insuffisamment financés :
— l’accompagnement et la reconversion des militaires ou des personnels civils (alors que 54 000 emplois seront supprimés dans la défense d’ici 2014, par tranches successives) ;
— les besoins de financement pour accompagner les restructurations (compensations pour les collectivités locales concernées par la dissolution de régiments, le déplacement ou regroupement d’unités, etc) ;
— la « déconstruction » des matériels de guerre retirés du service (« pour se mettre en accord avec le Grenelle de l’environnement, et s’éviter les péripéties de type Clémenceau ») ;
— l’amélioration de l’habillement et de l’équipement du combattant, « qui laissent à désirer, comme on l’a constaté ces derniers mois »

« En pleine mondialisation, notre président voyage comme d’autres présidents de grandes nations », s’est justifié le rapporteur de la mission « défense », Jean-Michel Fourgous, avant de donner un avis bien sûr défavorable à l’amendement de l’opposition pour un « redéploiement » des crédits réservés au futur avion présidentiel.

Le député socialiste René Dosière, qui s’est fait une spécialité de décortiquer chaque année les crédits de la présidence de la République, a lui aussi demandé « pourquoi l’achat et l’amortissement d’un avion – au demeurant nécessaire – réservé à l’usage presque exclusif du président de la République ne figurent pas au budget de la présidence ? ».

« Année normale »
Réponse : « Il est apparu plus simple, puisque cela est davantage de sa compétence, de confier au ministère de la défense, sous forme de prestation de service, les opérations d’achat et d’aménagement de cet appareil qui, comme les deux Airbus A319 actuels, pourra être mis à la disposition des ministres qui en feront la demande. »

Christian Frémont, directeur de cabinet du président de la République, avait levé un coin du voile qui masque d’ordinaire le financement des dépenses de l’exécutif français en indiquant — le 13 octobre, devant les membres de la commission de défense de l’Assemblée — que l’Elysée règle chaque semestre les factures établies par que le ministère de la défense au titre de l’utilisation par le président des vols de l’ETEC : les heures de vol (comprenant l’amortissement des appareils), le coût salarial, les prestations fournies à bord, et le coût du carburant - soit une dépense de 4,85 millions d’euros au premier semestre 2009, « conforme aux prévisions en année normale, 2008 ayant été une année exceptionnelle du fait de la présidence française de l’Union européenne », avait-il précisé.

Autres « manques à gagner » relevés par certains députés, au fil de cet examen du budget :
— la cession de plus de deux cents emprises à Paris et en province (représentant environ 5 400 hectares), qui résulte des mesures de restructuration programmées au sein du ministère de la défense, a pris du retard, regrette le rapporteur spécial de la commission des finances pour le budget opérationnel de la défense, Louis Giscard d’Estaing : « Le nombre de réalisations sera très limité d’ici le 31 décembre 2009 » ;
— d’autres recettes exceptionnelles attendues (comme la vente de fréquences, ou la cession des satellites Syracuse utilisés par la marine, etc.) tardent à venir ;

La facture du retour dans l’OTAN
— le coût du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN a été sous-estimé, et ne figure pas dans la loi de programmation militaire (LPM) adoptée en juillet dernier. La décision du chef de l’Etat français devrait porter d’ici 2012 à environ 1 250 le nombre des Français présents dans les différents états-majors et organismes de l’OTAN — en majorité des officiers supérieurs (contre 250 actuellement) [4].

Selon l’état-major des armées, l’ensemble des surcoûts liés à cette réintégration est estimé, sur la période 2010 à 2015, à environ 650 millions d’euros. Ils devraient être compensés – de même que la création d’une nouvelle base aux Emirats arabes unis – par la réduction d’environ 20 % des effectifs engagés en opérations extérieures ou sur les bases prépositionnées, a assuré le ministre de la défense, M. Hervé Morin.

Entendu par la commission de défense en préalable à ce débat, le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, avait relevé qu’en 2009, « un niveau important de déploiements a été maintenu, avec près de 33 000 hommes : 10 000 engagés sur les théâtres extérieurs, 3 000 au titre de la fonction « protection », 14 000 assurant des missions de souveraineté et 6 000 déployés sur nos bases ».

Moral des troupes
— le montant de la « mission défense » dans le budget de l’Etat français — 39 milliards d’euros, 30 hors pensions — est certes comparable au budget britannique, relève le député Jean-Michel Boucheron, mais plus de vingt fois inférieur à celui des Etats-Unis (680 milliards de dollars). Le budget français de la défense est deux fois moindre que le budget du renseignement américain non militaire.

Ce parlementaire socialiste, ancien président de la commission de défense, se dit « un peu inquiet pour les équilibres du budget 2011 », qui ne pourra être soutenu – comme c’est le cas pour l’exercice 2010 – par des investissements anticipés au titre du plan de relance. Et recommande, à propos d’un moral des troupes qui ne serait pas bon, de « prendre garde à ce que le succès remporté par les départs volontaires soit moins dû à l’attraction du pécule qu’à l’envie de partir ».
— l’impact du budget de la défense sur l’activité nationale : on estime à environ 50 % du budget de la mission le montant des dépenses budgétaires revenant aux différents fournisseurs du ministère de la défense, c’est-à-dire à environ cinq mille entreprises (dont les deux tiers sont des PME ou des PMI). Des partenariats public-privé se multiplient (location d’avions-ravitailleurs, auprès d’EADS ; rénovation du complexe de Fontainebleau ; aménagement du complexe Balard, le futur « Pentagone à la française » ; location des satellites Syracuse vendus, etc.)

Technologie civile, technologie militaire
— l’externalisation, qui concernait surtout jusqu’ici des secteurs relevant de la vie quotidienne (la restauration, l’infrastructure, le multiservice, le soutien informatique, l’habillement), se rapproche de l’opérationnel , avec par exemple ce contrat de location d’heures de vol par l’école de formation des pilotes d’hélicoptères de Dax, ou l’expérimentation en opérations extérieures du concept de « Capacité additionnelle par l’externalisation du soutien des forces françaises » (CAPESFRANCE) auprès des contingents au Kosovo et au Tchad.
— il n’est pas sûr que le « grand emprunt national » comporte un volet défense, les anciens premier ministres Alain Juppé et Michel Rocard ayant paru — lors d’une audition devant la commission des finances — vouloir en exclure ce secteur, au grand dam du ministre Hervé Morin qui avait été un des premiers à présenter une série de dossiers de financement, en insistant sur le caractère « dual » (civil et militaire) de la technologie par exemple du numérique (qui représenterait 30 % de la recherche et développement dans le monde, et 50 % de l’augmentation de la croissance mondiale).

Philippe Leymarie
09.11.09

Notes :
[1] L’Escadron de transport, d’entraînement et de calibration (ETEC), une unité de l’armée de l’air implantée sur la base aérienne de Villacoublay, au sud-ouest de Paris, a succédé au GLAM (Groupe de liaisons aériennes ministérielles), dissous en 1995 par Jacques Chirac. Outre ses missions « VIP », il assure le transport du personnel du ministère de la défense, de délégations étrangères et des évacuations sanitaires de civils et de militaires.
[2] L’Air Force One ne voyage jamais seul : la caravane aérienne américaine, qui transporte également des centaines de policiers, journalistes, véhicules spéciaux, etc., comprend souvent deux ou trois « Jumbo ».
[3] La famille des Falcon, avions d’affaires VIP, est produite par le groupe Dassault Aviation. Les Falcon 900 de la flotte actuelle de l’ETEC ont plus de vingt ans, et les Falcon 50, plus de trente. Outre l’A330 et les deux Falcon 7X, il est prévu — lors d’une 2e tranche en 2011 — d’acheter quatre Falcon 2000 pour rajeunir la flotte.
[4] La France a déjà obtenu dix-sept postes d’officiers généraux au sein de la structure de commandement, dont celui du général Stéphane Abrial, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, à l’un des deux commandements suprêmes de l’OTAN, le commandement transformation, basé à Norfolk (Etats-Unis).
Source: les blogs du Diplo

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