jeudi 12 novembre 2009

Lois antiterroristes procès de Patrick Mac Manus (Rébellion - Danemark)

Le 3 décembre prochain, le procès contre Patrick Mac Manus , porte-parole de l’organisation Opror/Rébellion au Danemark, reprendra devant le tribunal de Copenhague. Le jugement est attendu pour le 8 février 2010. Mac Manus est accusé d’avoir lancé une campagne de soutien politique et financier pour le FPLP et pour les Farc . L’inculpation le vise personnellement, et non pas l'association en tant que telle. Au niveau européen, l’affaire Patrick Mac Manus est une des illustrations les plus éloquentes d’un des buts visés par 10 ans de lois anti-terroristes : l’interdiction - dans les continents de l’hémisphère Nord - de toute solidarité avec les résistances dans l’hémisphère Sud. C’est en même temps le témoignage d’un homme dont l’engagement démocratique et anti-impérialiste ne souffre pas de compromis.

La lutte anti-terroriste européenne : guerre totale
Durant cette dernière décennie, la Global War on Terror (GWOT), la guerre totale contre la terreur, lancée par l’administration américaine après les attentats du 11/09, a rallié à sa cause, petit à petit, l’Union européenne (UE). Ce faisant, l’UE a réintroduit des méthodes, des lois et des concepts parmi les plus noirs de la guerre contre-révolutionnaire et anti-communiste menée par ces pays dans les années 50 et 60 du siècle passé, et qu’on croyait à tort, enterrés pour toujours. Un de ces concepts est que la lutte militaire sur le terrain contre « l’ennemi extérieur » (aujourd’hui en Afghanistan, en Irak...) doit nécessairement s’accompagner d’une lutte contre « l’ennemi à l’intérieur » (aujourd’hui au sein des frontières du continent européen). Des généraux français, engagés dans dans la lutte contre le FLN algérien pendant les années 50, résumaient ce concept ainsi : « Ennemi venant de l'extérieur, ennemi surgissant à l'intérieur, voilà les deux adversaires que doit affronter la Défense intérieure du Territoire proprement dite ... », « La guerre moderne ne se limite plus au seul choc des forces armées, elle s'étend à toutes les activités humaines, dans tous les domaines, à l’extérieur comme à l'intérieur… Elle est totale.. »
Ces propos sur la guerre totale, concernant la France d’il y a un demi siècle, sont aujourd’hui d’application pour l’Europe entière. La guerre totale contre l’ennemi extérieur - défini aujourd’hui comme « le terrorisme mondial » et « l’islamisme » - est complétée par une politique de répression à l’intérieur contre tous ceux qui s’y opposent.

L’ennemi intérieur
La lutte actuelle contre l’ennemi intérieur a pris forme par différentes mesures. D’abord, l’adoption par le Conseil de l’Europe d’une loi cadre contre le terrorisme du 13 juin 2002, qui devait définir le « délit terroriste ». Cette loi cadre a ensuite été votée et mise en application par les parlements nationaux des états de l’UE. Deuxièmement, la création au niveau européen et national, des listes noires d’organisations et de personnes terroristes, où la résistance marxiste, islamiste, nationaliste, toutes tendances confondues, essentiellement des continents du Sud, se retrouve. Se retrouver sur cette liste, vaut, selon les dires du rapporteur européen Dick Marthy, « une condamnation à mort certaine » et tout soutien à ces condamnés à mort est désormais punissable.
Enfin, la mise sur pied d’une véritable justice criminelle parallèle pour la lutte contre le terrorisme : introduction dans la législation de nouveaux délits, de nouvelles peines, de nouveaux pouvoirs spéciaux pour les services policiers ; formes de détention spéciale pour les détenus suspects de terrorisme, extradition des suspects et condamnés terroristes vers des pays qui pratiquent la torture et/ou la peine de mort.
Ce que cela veut dire en pratique est révélé par le cas de Patrick Mac Manus.

Les deux délits de Patrick Mac Manus : collecter des fonds pour la résistance…
L’inculpation de Patrick Mac Manus se fait sur base de la violation de l'article 114 a (2) du code criminel danois, le soutien aux « groupes ayant l'intention de commettre des actes terroristes ». En octobre 2004, Rebelion aurait transféré environ 14 000 € aux FARC et au FPLP. Quand, le premier août 2005, Patrick Mac Manus annonce dans une interview à la télévision danoise que Rebelion se prépare à rassembler de nouveaux fonds pour soutenir des organisations figurant sur la « liste terroriste » de l'UE et se fixe comme objectif la collecte de 500 000 couronnes danoises, la police et la Justice entrent en action. Une semaine après l’interview, le 9 août 2005, une perquisition frappe la maison et le bureau de Mac Manus, un ordinateur et des dossiers sont confisqués. Lui est arrêté, puis relaché. Suite à son arrestation, un groupe de sept activistes danois, sous le nom de « Fighters and Lovers », commence à imprimer et à vendre des T-shirts avec les logos des FARC et du FPLP pour collecter du soutien financier . Quand la campagne prend son essor et que 200 T-shirts sont déjà vendus, la police perquisitionne l’imprimerie des T-shirts et les maisons des accusés. La page internet est arrêtée ; un ordinateur, l’argent des ventes (destiné à une radio des FARC et à une imprimerie du FPLP) et les T-shirts restants sont confisqués.

… et un appel européen pour défier les lois anti-terroristes.
Dans l’interview du premier août 2005, Mac Manus annonçait que Rébellion avait lancé un appel international en danois, anglais et espagnol à près de 300 mouvements européens luttant pour la démocratie et la solidarité afin qu’ils défient pareillement leurs législations anti-terroristes nationales ainsi que la « liste terroriste » de l'UE. Le 12 août 2005, le tribunal de première instance de Copenhague ordonne l’enlèvement de cet appel de la première page du site de Rebelion. Cette injonction a été maintenue le 14 octobre 2005 par la Haute Cour (Landsret) danoise. Rébellion fait appel de cette décision devant la cour suprême (Hoejesteret) pour censure (interdit par le paragraphe 77 de la Constitution danoise) et pour violation de l’article 10 sur la liberté d'expression de la Déclaration européenne des droits de l'homme. En même temps, immédiatement après la confiscation de l'appel, Rébellion demande à d'autres organisations danoises de le publier en première page et de contacter leurs propres réseaux internationaux, faisant ainsi figurer l'appel de Rebelion sur 35 sites Internet nationaux et internationaux. Les autorités policières danoises réagissent en exigeant des organisations danoises, notamment l'Alliance des Rouges-Verts, de retirer l'appel de leur site sous peine de poursuites judiciaires. Toutes les organisations refusent. Le 24 février 2006, les autorités policières interviennent et enlèvent l'appel international du site Internet du parti parlementaire Alliance Rouges-Verts, de celui du quotidien de gauche « Arbejderen » et de celui d'un groupe de jeunes socialistes.

Le document saisi par les autorités danoises : L’Appel international de Rebellion.
Voici le texte du document incriminé de Rebellion :
« Appel de ‘Rebellion’ (Danemark) à tous les mouvements européens.
La « guerre contre la terreur » nous menace tous : défendez la liberté d'expression, les droits humains et la solidarité internationale !
L'association danoise ‘Rebellion’ appelle les mouvements européens luttant pour la démocratie et la solidarité internationale à se joindre à elle pour défier la législation nationale anti-terroriste, la « liste terroriste » de l'UE, ainsi que la prétendue « guerre internationale contre la terreur ».
Par le biais de l'actuelle législation anti-terroriste, les Etats européens ont cherché à limiter la liberté d'expression et les droits politiques de leurs citoyens, notamment leur droit à accorder une aide morale et matérielle aux mouvements de résistance et de libération.
Pendant l'année écoulée, ‘Rebellion’ a publiquement, et en infraction directe avec la législation anti-terroriste danoise, transféré des fonds importants au Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) et aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). Nous choisissons les organisations que nous soutenons du fait de leurs choix laïcs, démocratiques et humanistes.
Le Ministère danois de la Justice et les autorités policières n'ont pas encore porté d'accusations criminelles contre « Rebellion ». Pour les inciter à prendre de telles mesures, tant l’ambassadeur colombien auprès des Pays nordiques que le Vice-président Santos ont eu des entretiens à Copenhague avec des représentants du Ministère de la Justice et le Ministre des Affaires étrangères. Nous appelons toutes les autres organisations européennes à se joindre à nous afin de défier la législation anti-terroriste européenne et la « liste terroriste » de l'UE.
Cette campagne se déroulerait comme suit :
- collecte de fonds dans chaque pays avec la liste des personnes prêtes à signer l'appel. Il ne serait pas judicieux d'ouvrir des comptes en banque puisque ceux-ci pourraient être saisis;
- chaque pays participant devrait se fixer pour but au moins 100 signataires et une collecte d’au moins 1000 €. Il serait très avantageux de mobiliser des citoyens de premier plan;
- publication de l'initiative dans chaque pays lorsque ces objectifs seront atteints, ou à tout moment jugé approprié dans le contexte national;
- conférence réunissant toutes les organisations participantes qui se tiendrait à Copenhague en 2006 et au cours de laquelle serait annoncé le transfert de l’ensemble des fonds aux mouvements de résistance et de libération;
- publication d'un manifeste de la conférence au sujet de la prétendue « guerre contre la terreur » qui réaffirmerait la solidarité avec la lutte internationale contre le pouvoir d'État illégitime et l'occupation étrangère.
Nous espérons que votre organisation accueillera favorablement cet appel et que vous prendrez l'initiative d’y donner suite de manière aussi audacieuse que possible dans votre contexte national ».

L’enjeu du procès
Loin d’être battu et de se soumettre, Patrick Mac Manus écrivait il y a quelques mois : « Aujourd’hui et à l’avenir, Rebellion-Danemark défendra : le droit des peuples à résister à un gouvernement illégitime et à une occupation étrangère, le droit des peuples à prendre les armes contre l’oppression, lorsque tous les autres moyens ont été épuisés, le droit de créer de nouvelles formes de pouvoir populaire qui servent les aspirations économiques, sociales, politiques et culturelles du peuple, et le droit aux citoyens de toutes les nations d’apporter leur soutien, matériel ou autre, à ces luttes pour l’émancipation économique, politique, sociale et culturelle ».
Cette déclaration, que tout anti-impérialiste européen devait signer, est le résumé de l’enjeu du procès qui démarre le 3 décembre.

Luk Vervaet
12.11.09

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