vendredi 6 novembre 2009

L’annulation de la dette des pays en développement ne peut pas attendre !

Lettre ouverte aux membres du Parlement fédéral de Belgique : l’annulation de la dette des pays en développement ne peut pas attendre !

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

comme vous le savez, l’année 2009 est marquée par l’aggravation de la crise mondiale, qui est à la fois financière, économique, sociale, environnementale et migratoire. Tous les continents sont touchés de plein fouet, l’Afrique en tête. Cette crise globale, dont l’épicentre se trouve au Nord entraîne des conséquences majeures pour les populations du Sud : explosion du nombre de chômeurs et de personnes affamées, réduction de l’aide publique au développement, baisse continue des dépenses sociales au Sud et en Europe de l’Est sur injonction du FMI et de la Banque mondiale, etc. Un nouveau palier historique a même été franchi cette année puisque, selon le dernier rapport de la FAO (l’Organisation des Nations-unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) et du PAM (Programme alimentaire mondial) publié le 14 octobre, plus d’un milliard de personnes souffrent aujourd’hui de la faim, soit un individu sur six : c’est 100 millions de plus qu’il y a un an !

Malheureusement, le pire est encore à venir puisqu’une nouvelle crise de la dette publique externe se prépare au Sud, conséquence directe de la crise mondiale. En effet, toutes les conditions sont aujourd’hui réunies : effondrement des réserves de change de nombreux pays en développement, réendettement massif à l’égard des Institutions financières internationales (IFI), risque important de « nationalisation » des dettes du secteur privé, explosion de la dette publique interne et des prêts léonins Sud-Sud comme ceux accordés par la Chine et le Brésil, augmentation du coût du remboursement de la dette externe (1), etc. Résultat : les peuples du Sud vont payer le prix fort de cette crise mondiale dans laquelle ils n’ont aucune responsabilité. Le remboursement de la dette extérieure va accaparer une part encore plus importante des maigres budgets des Etats, au détriment des dépenses publiques vitales pour le développement des populations, tandis que la mainmise des IFI sur les politiques de ces pays, via les conditionnalités, va se renforcer au mépris du droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes et au rythme des privatisations des services publics, des coupes dans les budgets sociaux, etc.

Face à cette situation de violation massive des droits humains fondamentaux et à la lourde menace que fait planer cette prochaine crise de l’endettement, il est urgent de s’attaquer au fléau de la dette. La Belgique a non seulement le droit mais aussi le devoir d’agir immédiatement et unilatéralement en annulant toutes ses créances odieuses et illégitimes sur les pays en développement. En 2006, la Norvège a démontré qu’il est tout à fait possible d’annuler ces dettes sans passer par le Club de Paris, le FMI et la Banque mondiale et sans inclure leur montant dans l’aide publique au développement, lorsque le caractère illicite de ces dettes est établi notamment par des audits de la dette. Autre exemple : le gouvernement équatorien a décidé en novembre 2008, sur la base du rapport d’audit diligenté en 2007 (2), de suspendre unilatéralement le remboursement de sa dette publique commerciale compte tenu des nombreuses irrégularités détectées par le Commission d’audit. En juin 2009, 90% des créanciers commerciaux ont accepté la proposition de l’Equateur de racheter leurs créances à 35% de leur valeur nominale ; ce qui représente une économie de 300 millions de dollars par an pour le peuple équatorien. Ces deux exemples récents montrent que l’audit relève bien de la compétence des Etats et qu’il permet de légitimer des actes unilatéraux reconnus en droit international tels que la suspension de remboursement ou l’annulation sans conditions des dettes odieuses et illégitimes. Autant de mesures indispensables mais non suffisantes au développement des populations et à la réalisation de la justice.

La Belgique n’est pas en reste puisque le Sénat a adopté le 29 mars 2007 une résolution qui demande notamment au gouvernement d’instaurer immédiatement un moratoire avec gel des intérêts sur le remboursement du service de la dette bilatérale comprenant les créances d’Etat et celles du Ducroire (point 6), de mettre en place un audit sur les créances belges afin d’identifier et annuler la part odieuse (points 10 et 11), en considérant « au minimum qu’une dette odieuse est une dette contractée par un gouvernement non démocratique, que la somme empruntée n’a pas bénéficié aux populations locales et enfin que le prêt a été octroyé par le créancier en connaissance de cause des deux éléments précédents (3) ». Alors que cette résolution votée par le Sénat il y a plus de deux ans insiste sur « l’urgence et la nécessité d’un geste fort vis-à-vis de ces États qui permette de répondre immédiatement à leurs besoins » (point F), le gouvernement refuse toujours de l’appliquer, méprisant ainsi votre travail parlementaire. En effet, les mesures annoncées par le Ministre de l’Economie et des Finances, Didier Reynders, comme les rééchelonnements de dettes, les allègements de dettes conditionnés dans le cadre de l’Initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) ou encore les échanges de dettes ne tiennent aucunement compte du contenu de cette résolution.

Face à l’inertie du gouvernement, seule l’adoption d’une loi pourrait l’amener à mettre en place immédiatement un moratoire sur le remboursement des créances belges et un audit de celles-ci. C’est non seulement un droit mais aussi un devoir qui s’impose à vous. En tant que partie à de nombreuses conventions internationales telles que le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966, la Belgique a, en effet, l’obligation juridique de respecter, de protéger et de promouvoir les droits humains comme les droits à l’alimentation, à l’éducation, à la santé, à l’autodétermination, etc. Autant de droits indispensables à la dignité humaine dont la réalisation passe nécessairement par l’annulation unilatérale des créances belges. C’est une question de volonté politique qui se pose à vous, comme ce fut le cas lorsque vous avez adopté la loi contre les fonds vautours en janvier 2008.

Rappelons, en cette semaine d’action mondiale contre la dette et les IFI (4), que le Sud est bien le créancier net envers le Nord : la dette financière a déjà été remboursée plusieurs fois par les pays en développement, tandis que les pays industrialisés ont accumulé au fil des décennies une énorme dette écologique dont ils refusent de s’acquitter. L’annulation de la dette financière doit donc impérativement s’accompagner d’autres mesures fortes pour réparer les dommages sociaux et environnementaux causés au Sud et de la construction d’une nouvelle architecture financière internationale démocratique et respectueuses des droits humains fondamentaux.

Renaud Vivien, juriste au CADTM Belgique &
Myriam Bourgy, secrétaire générale du CADTM Belgique
05.11.09

Source: cadtm (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde)
Notes:
|1| Ce dernier aspect s’explique par deux raisons principales : d’une part, la forte augmentation depuis juillet 2008 des primes de risque payées par les pays en développement pour emprunter sur les marchés financiers internationaux et d’autre part, l’appréciation du dollar, monnaie avec laquelle les pays en développement remboursent leurs dettes. Par conséquent, les gouvernements du Sud doivent débourser plus de monnaie nationale qu’auparavant et puiser fortement dans leurs réserves de change pour se procurer les dollars nécessaires au remboursement de la dette externe.
|2| Le 5 juillet 2007, le président de l’Equateur Rafael Correa a créé, par décret, la Commission d’audit intégral de la dette publique de l’Equateur. L’article 2 du décret présidentiel définit cet audit comme « l’action de contrôle destinée à examiner et à évaluer le processus d’endettement et/ou de renégociation de la dette publique, l’origine et l’affectation des ressources ainsi que les projets financés par la dette interne et externe, afin de déterminer sa légitimité, sa légalité, sa transparence, sa qualité et son efficacité, sur la base des aspects légaux et financiers, des impacts économiques, sociaux, régionaux, écologiques et sur l’égalité des sexes, les nationalités et les populations ».
|3| Lire le texte intégral de la résolution sur http://www.cadtm.org/IMG/pdf/070327...
|4| http://www.cadtm.org/Semaine-d-Acti...

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