lundi 9 novembre 2009

N’est-il pas dit que la critique est aisée, mais l’art difficile ?

Pratiquement un an après son élection, on peut lire un peu partout dans la presse, sur le Net, et entendre régulièrement sur antenne de nombreuses réserves, voire de dures critiques à propos du bilan du président Barack Obama. Les unes du bout des lèvres, les autres franchement tranchées. Mais la plupart allant dans le même sens, d’une déception de l’action du président après un an de pouvoir.

Or, à y regarder de près, n’est-on pas quelque peu sévère avec l’intéressé ? Pour ma part, je pense que oui. Et je crois qu’en lieu et place de tomber sur le dos du premier président américain de couleur – et de la sorte ne fait-on pas, inconsciemment, le jeu d’une partie de la population qui continue sa détestation de tout ce qui n’est pas blanc ? – il conviendrait de se rappeler des dégâts incommensurables laissés par son prédécesseur. Les défis qui attendaient le nouveau président étaient immenses et nombreux étaient ceux qui à l’affût, espéraient pouvoir lui tomber dessus. Je pense que l’ensemble des médias est allé un peu vite dans son oubli de la sinistre équipe de néoconservateurs précédente. La virulence de certaines critiques me paraît être à la hauteur des attentes suite aux terribles dommages – directs et collatéraux – causés par l’administration Bush, et il se pourrait bien que nous n’ayons pas encore réellement compris leurs portées, ni les implications irréparables qu’elles continuent et continueront à produire, que ce soit en matière de politique intérieure ou extérieure.

Certes, la gestion de certains dossiers de politique internationale les plus médiatisés tels ceux de l’Irak, de l’Afghanistan et surtout celui du conflit israélo-palestinien, laisse un goût amer. La position claire d’un arrêt total de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-est était enfin un signal fort de la détermination du président US à contraindre Israël à devenir sérieux dans son approche du règlement du conflit, et à arrêter ses mensonges avérés en parlant d’un «processus de paix» tout simplement inexistant. La volte-face et les concessions faites aujourd’hui sur cette question par l’administration américaine sont probablement le résultat de négociations dont nous n’avons pas encore la clé, sauf à savoir l’immense influence des lobbies pro-israéliens aux USA et le risque de se les mettre à dos, quand l’on sait leur emprise sur la politique américaine – lire à ce propos, l’édifiant ouvrage de John Mearsheimer & Stephen Walt [1]. N’y a-t-il pas eu aussi un marchandage entre les administrations américaines et israéliennes sur la question d’un éventuel bombardement des sites nucléaires iraniens, du genre : vous me demandez de ne pas bombarder les sites iraniens parce que vous voulez poursuivre la négociation diplomatique, en échange de quoi, je vous demande de reculer sur votre intransigeance d’un arrêt de la colonisation, et je peux ainsi rester l’homme fort de mon gouvernement aux yeux des colons et des sionistes les plus durs?... L’avenir nous donnera peut-être certains éléments de réponse.

Lors de l’élection du président Obama, tous les observateurs avertis avaient clairement établi le peu de marge de manœuvre du président. Et qui aujourd’hui, parmi les nombreux critiques, peut prétendre avoir toutes les clés pour savoir exactement quelle est cette marge ? Bien peu, sans aucun doute. Aussi me paraît-il quelque peu aisé d’accabler le président Obama de critiques acerbes, et je persiste pour ma part, à lui garder un capital de confiance. Non que j’approuve ce que je peux voir de la politique extérieure américaine, coupable de tant de souffrances et de douleurs tout autour du globe, c’est tout le contraire, et je la dénonce régulièrement à travers livres et articles ! Mais je persiste à penser que l’actuel président doit être d’une prudence de sioux s’il veut que les choses avancent un tant soit peu dans le sens d’une plus grande justice, bien déficiente dans de nombreux cas. Et la première d’entre elles – que je pointais dans mon dernier livre La Démocratie Mensonge [2] – était le constat qu’un nombre important de citoyens américains n’avaient aucune couverture médicale. Le projet de loi modifiant cette gravissime lacune vient d’être adopté de justesse ce week-end à la Chambre mais doit encore franchir le cap du Sénat. Chacun qui a suivi les méandres de ce combat du président Obama aura pu voir avec quelle virulence parfois les citoyens lui ont adressé leurs griefs, sans compter les campagnes médiatiques odieuses financées par de puissants groupes privés dont les intérêts sont menacés par la nouvelle législation proposée. Et quel citoyen, de n’importe quel pays du monde, pourrait comprendre que la plus haute autorité de son gouvernement s’investisse davantage dans sa politique extérieure que dans sa politique intérieure ? La réponse est simple : aucun !

Ainsi, comme je l’exprimais dans le titre de cet article, Barack Obama doit être un adepte du grand art pour poursuivre les objectifs qu’il s’est fixés et si possible, les atteindre. Renverser en un an tout ce qui a été mis en place et probablement cadenassé pendant huit années par l’exécrable administration républicaine précédente est impossible. Et si le président veut éviter un bain de sang – prédit par plusieurs observateurs dans un contexte économique et social particulièrement difficiles – il lui faut être d’une extrême prudence. Sans compter tous les malades qui aimeraient lui faire la peau au sens propre, plutôt que figuré.

Dès lors, même si certains dossiers de politique étrangère sont incontestablement prioritaires, soyons un peu plus patients vis-à-vis des résultats du président Obama. Non qu’il faille lui autoriser tout écart. Non ! Il convient de rester vigilant et aux aguets de tout ce qui ne va pas dans le sens d’une plus grande justice, et de poursuivre les pressions avec les moyens dont nous disposons, mais dans le même temps, il convient aussi de prendre conscience de la mesure du défi : l’on ne rentre pas dans une telle fonction en faisant table rase de tout ce qui précède. Les résistances et les complicités passées sont nombreuses. Et l’ardoise laissée par son prédécesseur est catastrophique. Qu’on ne l’oublie pas trop vite, et au contraire que l’on cherche par tous les moyens, comment faire payer la précédente administration des désastres multiples dont elle s’est rendue coupable, tout en encourageant les initiatives du président américain qui vont dans le bon sens, parce que c’est devenu tellement rare qu’il serait dommage de rater l’occasion et d’assister à son isolement puis à son renversement dans trois ans, au profit du retour des républicains dont on découvre encore les capacités de nuisance illimitées…

Daniel Vanhove
08.11.09

[1] Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine – 2007 – Ed. La Découverte pour la traduction française.
[2] « (…) Par ailleurs, comment concilier ces principes de justice surfaite, quand sur une population d’environ 300 millions d’Américains, plus de 45 millions d’entre eux (!) n’ont aucune couverture médicale ? Et que ce nombre est en augmentation constante. Ce qui a, entre autres conséquences, fait reculer l’espérance de vie des citoyens américains à la 42ème place dans le classement mondial de longévité, alors qu’ils étaient encore à la 11ème place voilà vingt ans à peine. Que parallèlement, la discrimination raciale est toujours réelle dans nombre d’Etats, et donc dans l’accès à certaines professions, à certains logements, dans le traitement des prisonniers, dans le domaine de la santé et dès lors, dans la mortalité infantile (…) » – 2008 – Ed. M. Pietteur – coll. Oser Dire

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire